Comment résorber le chômage de masse
La CI est l’une des économies les plus performantes en Afrique en ce moment. Le pays est unanimement félicité pour son dynamisme. Pourtant le chômage de masse reste une tragédie silencieuse, une ombre sur le tableau des belles performances économiques. Nos autorités semblent impuissantes à endiguer le phénomène en dépit des chiffres avancés ici et là. Pourtant des leviers simples existent, qu'il faut seulement actionner.
Aborder la question sous une optique nouvelle
Dans la bataille contre le chômage de masse, l’objectif n’est pas tant d’insérer les jeunes, que d’amener les entreprises à se créer, et à se développer. Cela a déjà été souligné. On se focalise sur l’emploi, et pas sur l’entreprise qui offre cet emploi. Il est clair qu’une entreprise qui voit le jour ou qui se développe, va naturellement recruter.
En voulant absolument insérer les jeunes alors que la capacité d’absorption du marché de l’emploi est faible, on débouche inévitablement sur des solutions artificielles du type, CDD de courtes périodes, stage-emploi, THIMO de quelques jours, stages rémunérés, l’octroi de financement etc…etc..…Tous ces dispositifs améliorent certes les statistiques du chômage, mais n'impactent pas vraiment la réalité de l'emploi dans le long terme pour ces jeunes. Ces dispositifs maintiennent les jeunes dans la précarité et le sous-emploi, comme l’a montré une étude de la BAD.
L’expansion de l’activité de nos entreprises constitue la véritable réponse à l’emploi des jeunes. Il faut changer de logiciel en focalisant cette bataille sur l’activité économique elle-même, et non sur les chômeurs. Comment faire décoller l’activité ? La question de l’emploi est là. Ce sont les entreprises qui offrent les emplois, et elles ne le font que si l’activité décolle.
Démanteler les monopoles qui existent au sein de l’économie
Libéraliser, c’est permettre à plusieurs acteurs de prendre pied sur un marché donné. Aujourd’hui sur le plan d’eau lagunaire, la SOTRA fait face à deux autres opérateurs. Cette libéralisation est à saluer. Il faut poursuivre en permettant que l’entreprise soit aussi concurrencée sur le segment des transports terrestres.
La production d’électricité est libéralisée en CI. Mais la distribution et la commercialisation demeurent sous un monopole. Il est prévu la libéralisation en 2020. C’est une démarche aussi à saluer. Il est à espérer que cette libéralisation ne soit pas repoussée, et que des acteurs crédibles prennent pied sur ce segment.
Au niveau de la téléphonie mobile, les licences de quatre opérateurs leur ont été retirées en 2017. Il était question de les regrouper pour en faire un opérateur unique, plus fiable. Depuis ce projet a été abandonné. Pourtant selon les experts qui s’étaient exprimés durant cette période, il y avait de la place pour un quatrième opérateur en CI. La question doit être de nouveau mise sur la table. Il faut permettre l'installation de ce quatrième opérateur.
Au niveau du paysage audio-visuel, la libéralisation doit intervenir incessamment. Sans cesse repoussée, elle est très attendue. Quatre opérateurs ont été sélectionnés dans un premier temps. Ils vont directement concurrencer cette vieille dame qu’est la RTI.
Il faut comprendre ici que toute libéralisation s’accompagne d’une hausse de l’activité, et bien entendu de l’emploi car ce sont de nouveaux acteurs à qui on permet de prendre pied sur un marché donné. La libéralisation des secteurs cités (la liste n’est pas close) va engendrer une vague de fond dans l’emploi, des emplois réels, pas des emplois artificiels. Nos autorités doivent sortir des hésitations et accélérer une bonne fois sur cette question de la libéralisation, car aucun monopole ne se justifie aujourd’hui dans l’économie ivoirienne.
Lever certaines interdictions
Tout d’abord, il faut lever l’interdiction concernant l’agri-business. Les dérives constatées en 2016 sont dues à l’absence d’un cadre juridique clair pour encadrer l’activité. La CI est devenu le premier producteur africain d’hévéa dans les années 2000 en partie grâce à l’agri-business, c’est dire le potentiel de l’activité si les choses sont menées comme il se doit.
Aujourd’hui malgré l’interdiction, discrètement des entreprises font leur retour. Officiellement elles « accompagnent » les personnes désirant investir dans l’agriculture. Mais le principe reste le même. Cela prouve bien que l’agri-business reste une étape incontournable. Qu’ou le veuille ou non notre agriculture ira dans cette direction.
Au lieu de purement et simplement l’interdire, nos autorités devraient se montrer pragmatiques en mettant en place des règles claires pour éviter la mise en place d’un nouveau schéma pyramidal. La BAD encourage fortement l’agri-business. Son DG est agronome de formation, et croit fermement que l’Afrique peut se nourrir par cet outil.
Il faut aussi lever l’interdiction concernant les sachets plastiques. 100 000 emplois ont été impactés en 2017, selon les chiffres avancés par les professionnels du secteur. Nos usines ont arrêté la production, pourtant les plastiques sont disponibles. Ce qui signifie que la production des pays limitrophes alimente le marché ivoirien. Nos autorités n'ont pas les moyens d' empêcher ces produits de pénétrer sur le territoire.
L’hévéa reste le second produit le plus transformé en CI derrière le palmier à huile. Soulignons qu'il y avait aussi des filières de récupération et de recyclage de ces sachets. Ces filières ont ainsi disparu. A quelle logique économique avait donc obéit l’interdiction ? Des milliers d’emplois seront générés si ces interdictions sont levées.
Faire du règlement de la dette intérieure une priorité
La dette intérieure ivoirienne s’élève en 2019 à environ 4 000 milliards de FCFA. Une partie de cette dette concerne les fournisseurs, ces entreprises ou particuliers qui ont exécuté des travaux pour l’Etat sans avoir été payés. L’Etat est souvent leur principal client.
Entreprendre des travaux ou fournir des biens, et attendre deux à trois années pour commencer à recevoir les règlements, tire l’activité économique vers le bas. Car ces entreprises à leur tour ne pourront pas régler leurs fournisseurs, ce qui va entraîner une contraction de l’activité par paliers successifs. Il en découle le chômage technique, les arriérés de salaires, les licenciements. L’Etat règle à compte-gouttes sa dette-fournisseur, ce qui plombe l’activité, et alimente le chômage. Régler en temps et en heure cette dette, c’est rendre les entreprises compétitives, et permettre à l’emploi de repartir.
Arrêter de déguerpir les commerçants
Nos autorités ne veulent entendre parler du secteur informel. Pourtant c’est bien là que se situe le gisement d’emplois pour la jeunesse déscolarisée, et pour toutes les populations de la sous-région qui immigrent en CI.
Les Maires qui mettent en œuvre ces initiatives, mettent à mal non seulement les commerçants qu’ils déguerpissent, mais aussi plus en amont certaines activités qui ne sont pas sur le site. Les activités du secteur informel sont souvent le dernier maillon de filières qui prennent racine dans le secteur formel. En déguerpissant sans discernement, on impacte les fabricants, les distributeurs, les grossistes etc…...
On supprime des revenus, donc on retire du pouvoir d’achat à une partie de la population (des milliers de personnes), on casse ainsi la demande intérieure, ce qui menace les revenus qui se forment sur cette demande, et qui n’ont aucun lien avec les activités déguerpies. La misère et la pauvreté se diffusent. Pourquoi alors s‘étonner que le chômage de masse soit si difficile à endiguer ? A bien des égards, le secteur informel permet à la consommation intérieure d’accélérer.
Les missions diplomatiques doivent être des « apporteurs d’affaires » pour nos industriels
Nos ambassades doivent être en ordre de bataille pour la recherche de débouchés dans le pays qui les accueille, pour nos petites pme qui n’ont pas les moyens d’entreprendre ces démarches. Les marchés ne se situent pas toujours en Europe. Une classe moyenne commence à émerger dans les capitales africaines, surtout à l’est (Tanzanie, Kenya, Ethiopie…….). Il revient à nos missions diplomatiques de prospecter dans ces Etats. Le gouvernement ivoirien a initié des ateliers à ce sujet. C’est à saluer. Ce travail doit se poursuivre en maintenant une pression constante sur le personnel diplomatique.
Inciter les communautés religieuses à investir
Oui ces structures ont aussi une partition à jouer pour une raison bien simple : elles mobilisent des fonds énormes. Un article a déjà été produit sur le sujet. Dans les pays de tradition anglo-saxonne (Ghana, Nigeria, Afrique du Sud.….) les communautés religieuses investissent massivement. Des usines, des universités, des quartiers entiers d’habitation appartiennent à des Eglises.
En Côte d’Ivoire Il y a certes de petits investissements ici et là, mais l’approche est frileuse. Pourtant le potentiel est énorme. Certaines de nos communautés mobilisent plus de fonds que des entreprises de grandes tailles. Nos autorités doivent inciter ces communautés à investir une partie des sommes qu’elles collectent auprès des fidèles comme cela se fait ailleurs. Il faut leur marteler ce message. L'investissement contribue au salut des âmes car les communautés deviennent financièrement fortes, et dans le même temps elles offrent des emplois aux jeunes.
Une bataille éclatée sur plusieurs fronts
La décrue du chômage de masse doit résulter d’une démarche globale et intégrée, et ne peut pas être réduite à la seule ouverture des guichets emplois-jeunes au niveau de nos communes. Ces structures que l’Etat déploie à grand renforts de communication risquent de n’avoir aucun impact sur la donne.
Aujourd’hui il est question de 141 milliards de FCFA consacrés aux différents dispositifs associés aux guichets emplois-jeunes, ces dispositifs qui permettront la création de « 500 000 emplois » d’ici 2020. En fait nos autorités jouent la carte de la communication. Tout cela reste artificiel. Il sera bien difficile de voir l’emploi vraiment repartir si certains leviers ne sont pas actionnés. Nous allons tourner en rond. le chômage restera massif. Ce ne sont pas des emplois durables qui seront créés.
Les initiatives mises en place jusque-là se sont révélées incapables d’endiguer le chômage pour la simple raison qu’elles n’ont aucun impact sur l’activité économique. Elles n'agissent pas sur l'investissement intérieur. Or c’est par là qu’il faut commencer. Il faut administrer des chocs, stimuler l’économie par des mesures fortes afin que l’activité puisse se mettre en place d’elle-même, et faire repartir l’emploi. oceanpremier4@gmail. com
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