Burkina Faso : est-on entré dans un cycle de putsch sans fin ?

 

Abidjan le 01 Octobre 2022
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Le Capitaine Ibrahima Traoré ( 34 ans ), le nouvel homme fort du Burkina, lors de l'allocution à la 

TV d'Etat proclamant la démission du Lieutenant Colonel Damiba, le 30 Septembre 2022.



Le 14 Novembre 2012, L'attaque de la base d'Inata dans le Nord du pays  fait officiellement 57 morts dont quatorze gendarmes et 04 civils. Elle déclenche un profond traumatisme dans le pays. Elle est la plus meurtrière subie par l'armée, et révèle de graves dysfonctionnements, notamment les ravitaillements qui ne parviennent pas aux soldats. La population impute la situation au Président Kaboré. A travers des marches et des mouvements d' humeur de soldats dans les casernes, sa démission est réclamée. Le 23 Janvier 2022  se produit une mutinerie, les soldats exigent le limogeage du Chef d'Etat Major. Le lendemain, c'est le départ du président qui est exigé. L'homme s'incline et cède la place.


Le Lieutenant Colonel Paul Henri Sandaogo Damiba prend la tête de l'Etat, et promet la restauration de l'intégrité territoriale. Mais quelques 06 mois après le putsch, la situation se dégrade encore plus. Son impuissance apparaît clairement aux yeux de tous. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, sa démission est réclamée par des manifestations de rues et des mouvements d'humeur de soldats. L'homme tente de faire diversion en réunissant dans un "dialogue national inclusif", tous les anciens présidents du pays les 21 et 23 Juin dernier, dans le but évident de contenir la colère qui monte au sein de la population et dans l'armée. 


Il procède également à une augmentation du salaire des fonctionnaires. Mais le malaise persiste car les embuscades meurtrières semblent s'accélérer. Un convoi est attaqué  le 26 Septembre dernier. 11 soldats perdent la vie, tandis que 50 civils sont portés disparus. Mais on apprenait plus tard que le véritable bilan est de 27 soldats tués, tandis que la ville de Djibo dans le nord est encerclée par les djihadistes. En fait le Lieutenant-Colonel Damiba avait totalement perdu la main.


Pourtant la mutinerie du 30 Septembre qui a abouti à son renversement résout-elle le problème de fond du Burkina Faso ? Quelles options nouvelles, l'homme fort du pays, le capitaine Ibrahima Traoré, pourra mettre en œuvre en dehors du recours aux mercenaires russes du groupe wagner ? C'est la seule carte qu'il peut jouer. D'ailleurs, dans un communiqué lu Samedi 01 Octobre, les nouveaux maîtres du pays affirment leur volonté de se tourner vers "d'autres partenaires" pour la restauration de l'intégrité territoriale, même si par la suite il  a tempéré sur la question du recours aux Russes. Les Russes  pourront-ils forcément changer la donne ? 


Au Mali où ils sont présents depuis Décembre 2021 avec environ un millier d'hommes,  la sécurité est-elle restaurée pour autant dans le pays ? Le bilan est mitigé. En Centrafrique où elle est également déployée, la milice a obtenu des résultats indéniables  parce qu'en face , il y avait des armées rebelles qui combattaient  dans une guerre ouverte l'armée gouvernementale. Ainsi le soutien et l'expertise des soldats russes a pu faire pencher la balance. Une large partie du pays est revenue sous le contrôle de Bangui. 


Au Mali, nous n'avons pas d'armée djihadiste en face. L'ennemi frappe par embuscade et se fond dans la nature. La présence russe ne produit pas les mêmes résultats car le conflit est différent. La baisse des attaques qu'on constate ces derniers temps, est due au fait que l'armée assure de plus en plus la relève des troupes en hélicoptère et non par la route. Mais ce faisant, de larges parties du pays sont des "zones interdites", où les soldats refusent de s'aventurer y compris les russes !  La stratégie de ces derniers est de débarquer dans les villages peuls et de massacrer les hommes. Ce qui entraîne des représailles dans les villages non peuls, comme l'a documenté les Nations Unies dans leur rapport du premier semestre 2022.


En fait, il n' y a pas de solutions miracles. Les Russes n'y changeront rien. Tous les gouvernements confrontés au terrorisme tâtonnent. Le Nigéria a payé le plus lourd tribut en Afrique de l'Ouest avec Boko Haram. Pourtant l'armée n' a pas renversé le pouvoir en place, malgré ses pertes. A l'Est de la RDC, l'armée subit régulièrement des défaites face aux ADF, un groupe djihadiste, et face à une multitude de groupes rebelle. Mais le pouvoir demeure en place. La Somalie est fréquemment sous les assauts des islamistes Shebab. Mais elle reste un exemple de démocratie parlementaire en Afrique. Pendant le second semestre 2021, l'armée fédérale éthiopienne a subi de cuisantes défaites face aux rebelles du Tigrée, qui sont parvenus à 180 km d'Addis-Abeba. Pourtant le pouvoir du jeune premier ministre Abiy Hamed n' a pas été renversé.


Pourquoi  en Afrique de l'Ouest faut-il que les pouvoirs soient renversés lorsque l'armée est en difficulté ? Un manque de maturité politique de ces pays ? Aujourd'hui on le constate, le départ du président Kaboré n'était pas la solution, pas plus que ne l'est celui du Lieutenant Colonel Damiba. Il est à craindre que le Capitaine Ibrahima Traoré ne subisse le sort de ses prédécesseurs si la situation sécuritaire ne s'améliore pas.  Et le putsch lui-même va encore fragiliser l'Etat burkinabé le temps que le nouvel homme fort prenne les choses en main. Il n'est pas sûr qu'il en ait le temps. Est-on alors entré dans un cycle de putsch et de transition sans fin dans ce pays ? 



Douglas Mountain 

Le Cercle des Réflexions Libérales 

oceanpremier4@gmail.com


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