Les garanties partielles de crédit fournies par la BAD : une bonne chose pour les Etats ?

 

Abidjan le 24 / 05 / 2024

                               Economie                                                                                                      

 


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Immeuble principal du siège de la BAD à Abidjan.


Un peu à l’image d’une assurance ou d’une provision, le rôle d’une garantie dans un prêt, est de couvrir le créancier en cas d’insolvabilité de l’emprunteur. S’il s’agit d’un actif, il est saisi s’il y a défaut sur la dette. Si la garantie est apportée par une tierce entité (un fond de garantie, une banque, une personne physique ou morale etc…), celle-ci se substitue au débiteur et rembourse l’emprunt. 


La garantie est exigée lorsque la capacité de l’emprunteur à honorer ses futurs engagements n’est pas certaine. Lorsqu’elle est fournie, le prêteur étant couvert, il n’y a plus d’obstacle au prêt sollicité. Finalement c’est la garantie qui déclenche le prêt, et non la pertinence du projet à financer.


Ce même principe joue au niveau des Etats. Lorsque des garanties leur sont réclamées pour des emprunts qu’ils sollicitent, c’est que le risque d’insolvabilité (défaut de paiement) n’est pas à écarter dans le futur. Le Ghana, l’Ethiopie, la Zambie, l’Angola, le Congo Brazzaville entre autres, ne peuvent plus, ou ont désormais besoin de garanties pour lever des emprunts. Ils ont fait défaut sur leurs dettes dans un passé récent, ou ont été proches de le faire pour certains, ce qui a dégradé leurs notes souveraines. 


Ces pays n’ont pas accès au marché des capitaux en l'état actuel des choses.Aujourd’hui la BAD apporte deux types de garanties aux Etats : les garanties partielles de risques, et les garanties partielles de crédit. Ce sont des instruments financiers assez récents, qui sont cependant appelés à jouer un rôle majeur dans la politique d’endettement des Etats.


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Le général Mamadi Doumouya, président de la Guinée Conakry depuis le putsch de Septembre 

2021. L'homme a annulé plusieurs contrats mis en œuvre par l'ancien régime, sans pour autant 

verser des compensations aux entreprises impliquées.


Les  garanties partielles de risque-GPR couvrent les risques liés à l’exécution d’un projet conclu entre un Etat et un partenaire privé. En Guinée, au Niger et au Sénégal entre autres, les gouvernements sont revenus ou veulent revenir sur des accords signés par les régimes précédents avec des entreprises privées. Il peut en résulter des pertes pour ces dernières si elles sont finalement écartées des contrats, alors qu'elles ont déjà engagé des dépenses. La GPR couvre en partie de telles pertes. 


De même, le terrorisme, une guerre civile ou des émeutes etc…….peuvent impacter l’exécution d’un partenariat entre un Etat et une entreprise, et là aussi entraîner des pertes. Un Etat peut ne plus avoir les moyens de poursuivre un partenariat, pour une raison ou une autre. Tous ces risques qui ont longtemps freiné l’investissement en Afrique, sont aujourd’hui couverts par les GPR. Les entreprises reçoivent partiellement les fonds déjà investis.


Les garanties partielles de crédit –GPC, couvrent les risques liés à l’insolvabilité des Etats sur les emprunts concessionnels ( généralement les emprunts conclus d'Etat à État, ou entre un Etat et une institution de financement). Si le pays débiteur fait défaut sur la dette, alors la GPC intervient pour le règlement partiel de l’emprunt.


Evidemment il faut applaudir les garanties partielles de risques-GPR. L’Afrique est globalement vue comme un "continent à risques", et cette perception freine les investissements. Avec les garanties partielles de risques-GPR, certains risques liés à l’environnement sont partiellement couverts. 


Aujourd’hui dans nos Etats, les investissements dans les infrastructures sont mis en œuvre par les partenariats publics privés (PPP). Grâce aux GPR, ces partenariats comportent désormais moins de risques, puisqu’en cas de non-exécution du contrat suite aux causes qui ont été identifiées plus haut, l’investisseur privé se voit partiellement remboursé les dépenses déjà effectuées.


En revanche pour les garanties partielles de crédit, les GPC, il faut être prudent. Le Bénin fut le premier Etat à utiliser les GPC pour s’endetter auprès d’investisseurs privés. D’abord en Septembre 2022, et plus récemment en mai 2023, où le pays a levé entre 400 et 500 millions d’euros, ( le montant exact de l'emprunt n'a pas été communiqué ). 


La Côte d'Ivoire fut semble-t-il la seconde nation à utiliser les GPC de la BAD pour mobiliser des fonds auprès de banques privées. En Juillet 2023 elle a obtenu une garantie de 400 millions d’euros pour lever des fonds pour le financement de projets labélisés  "ESG" ( projets à impact Environnemental, Social, ou destiné à améliorer la Gouvernance). Ici également le montant de l'emprunt n’a pas été communiqué. 

 

Depuis lors, les Etats africains semblent désormais se précipiter vers les GPC de la BAD pour lever des emprunts dans le cadre des investissements relatifs aux objectifs de développement durable-ODD, définis par les Nations Unis. C’est semble –t-il la condition requise pour un accompagnement de la BAD. Ces garanties partielles de crédit-GPC sont-elles forcément une bonne chose pour les Etats africains ? La question n'est pas superflue.


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Le président Patrice Talon du Bénin. Brillant businessman avant d'accéder aux affaires, il fut

le premier chef d'Etat à utiliser les GPC de la bad pour lever des fonds auprès d'investisseurs

occidentaux.


Comme on l’a dit plus haut, certains Etats sont en défaut, ou ont été proches du défaut sur leurs dettes. Dans de telles circonstances, vous ne pouvez plus émettre d’obligations, ou alors elles vont porter sur de très faibles montants, seront de très courtes maturités avec des taux d’intérêts élevés. 


Le marché vous sanctionne ainsi, le temps que vous fassiez à nouveau preuve de votre capacité à rembourser vos emprunts. De même certains Etats qui bien que n’ayant pas fait défaut sur leurs dettes, ne peuvent pas emprunter au-delà d’un certain seuil, vu la taille de leur économie. 

 

Recourir aux garanties de la BAD pour emprunter, c'est contourner le marché, c'est éviter de se soumettre à son verdict. Or le marché reste le meilleur instrument pour juger de la capacité d’un Etat à rembourser ses emprunts. Grâce aux GPC de la BAD, les Etats empruntent sur de longues maturités, à des taux avantageux. Vu sous cet angle, cela est une bonne chose. 


La question du risque de défaut de paiement ne se pose plus dans la mesure où la BAD se porte garante du prêt. Elle assume donc ce risque. Mais ce faisant, la BAD peut amener les Etats à s’endetter au-delà de leur capacité à pouvoir rembourser. Pour faire simple, les GPC peuvent mener les Etats vers le surendettement.


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Le président de la BAD Akinwumi Adesina, ici en compagnie du président Ouattara. L'homme 

est surnommé dans les milieux financiers " l'optimiste en chef " du fait d'un caractère toujours

jovial.



Le Bénin a pu mobiliser un demi-milliard d’euros auprès d’un consortium de banques occidentales grâce aux GPC. C’est un montant important rapporté à la taille de l’économie de ce pays, un montant qui aurait été jugé risqué sans les GPC. Ainsi ces derniers créent une distorsion dans l’évaluation de la capacité réelle des Etats à s’endetter.  


On l’a dit en introduction, c’est la garantie qui déclenche le prêt, et non la pertinence du projet à financer, ou la capacité de l'emprunteur à honorer ses futurs engagements. On ne se préoccupe plus de la capacité des Etats à rembourser, dès lors qu’il y a derrière eux une institution telle que la BAD. Ce n’est pas forcément une bonne chose pour ces pays.


Les chinois sont régulièrement accusés de mener les pays africains vers le surendettement, en construisant des infrastructures sans tenir compte de la capacité des Etats à rembourser les dettes qui sont ainsi contractées. Les garanties de la BAD n’auront-elles pas le même effet sur le long terme ? 


Il y a quelques années, le président de la BAD Akinwumi Adesina exhortait les États africains à exploiter toutes les possibilités qui s’offraient à eux dans la mobilisation de leurs ressources intérieures, au lieu de se précipiter pour lever des emprunts sur les marchés financiers. Aujourd’hui il n’est pas mécontent que les Etats s’endettent sur les marchés internationaux mais en recourant aux garanties de la BAD, un service payant.

 

Enfin il serait faux de croire que le risque de défaut est supporté par la BAD seule via les GPC. Certes en cas de défaut cette garantie intervient, et la BAD permet au créancier de rentrer partiellement dans ses fonds. Mais ensuite, elle réclame ces fonds aux Etats, cela devient une dette qu'ils contractent auprès d'elle. 


D'autre part, les portes des sources de financements internationaux leur resteront fermées pendant un bon moment. Ainsi les Etats n'ont pas intérêt à faire défaut sur les emprunts qu'ils contractent même avec les GPC de la BAD. En définitive ces derniers sont pour les Etats africains "un jeu à somme nulle". 

 

Douglas Mountain 

oceanpremier4@gmail.com   

Le Cercle des Réflexions Libérales

 





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