2020 : Année de la "dernière chance"pour le président Bédié ?
A 86 ans, le président Bédié
affiche une volonté implacable à réintégrer le palais présidentiel. Si cette détermination est saluée par ses partisans, elle est source d’inquiétude pour les autres,
car on sent que l’homme a l’intention
d’aboutir, et cela « quoi qu’il arrive ».
Désir de revanche sur
le putsch du 24 Décembre 1999 ?
Cette question revient avec
insistance chaque fois que le président Bédié est interrogé sur les raisons de sa candidature.
Dans une interview accordée en Octobre à l’hebdomadaire Jeune Afrique, l’homme
affirme « qu’en politique il faut toujours pardonner ». Il dit avoir pardonné au général Robert Gueye, qui lui aurait avoué l’identité des
personnes derrière le putsch, lui
n’ayant fait que « l’endosser ».
Ces personnes auraient elles aussi sollicité son pardon, ce qu’il aurait
également accordé, mais en leur demandant « de se repentir devant la nation».
Des questions se posent. Il
faut se souvenir que durant le forum de réconciliation nationale de 2001, le
président Bédié a refusé de serrer la main
du Général Robert Gueye. Il a également refusé de participer au diner de clôture du forum, car pour lui il
était hors de question « d’être en
compagnie d’un putschiste », ainsi
que l’a reporté la presse.
Le général Gueye est décédé
environ un an plus tard, en 2002.
Avant cela il n’a jamais été question d’une réconciliation, d’un
quelconque rapprochement, voire d’une quelconque rencontre. La blessure était
encore trop vive pour le Président Bédié.
En plus du putsch,
il reprochait à Robert Gueye « la disparition des biens de famille et de l’or dans ses deux résidences de Daoukro et d’Abidjan ».
Si le Président Bédié a
pardonné au général Gueye, ce n’est
certainement pas du vivant de ce dernier. On le sait aujourd’hui, Robert
Gueye n’était pas en tant que tel dans la préparation du complot. Peut-être
es-cela qui a atténué au fil des ans le ressentiment de l'homme envers son ancien chef
d’état-major. Quant aux « véritables commanditaires » qui seraient toujours dans la place, le président
Bédié ne fournit aucune autre indication.
Un Désir incontestable de
« revenir »
Il ne faut pas se voiler la
face, le putsch du 24 Décembre 1999
reste une blessure encore vive pour le président Bédié. Elle ne peut jamais
véritablement se refermer. Ce qui humainement est compréhensible.
L’homme s’est beaucoup
culpabilisé. Dans les premiers mois de l’année 2000, la presse a fait état de la dépression qu’il a
traversée. Depuis son exil, il avait présenté sa candidature à la présidentielle de 2000. Elle fut rejetée. Une fois rentré en 2001, il a exigé « la reprise de la présidentielle ». En 2010,
arrivé troisième au premier tour, il a appelé au « recomptage » des voix.
La volonté de
« revenir » ne l’a jamais véritablement abandonné. Le fameux
« appel de Daoukro » n’était pas un renoncement. Il s’agissait de
laisser le président faire un second mandat. « En échange » ce dernier
devait accélérer la dissolution du parti présidentiel dans le PDCI et parvenir
ainsi au parti unifié. Naturellement le président Bédié aurait été président de
ce parti unifié, et donc le candidat naturel à la présidentielle de 2020.
Voyant que la formation du
parti unifié ne prenait pas le chemin prévu, le président Bédié a alors exigé
la désignation du candidat de la coalition à la prochaine présidentielle, avant
la formation de ce parti unifié. Refus du président de la République. D'où la rupture entre les deux hommes. Pour
beaucoup, le Président Bédié s’est fait « rouler dans la farine ».
Pourtant l’homme a soixante
ans de vie politique. Il est difficile de comprendre qu’avec un tel bagage, on
puisse se « faire avoir ». En politique les promesses n’engagent que
ceux qui les croient, le président Bédié devait le savoir. En fait il a manqué de lucidité en pensant que les choses s’aligneraient
sagement selon ses ambitions. Il a tout simplement fait un « mauvais
calcul ». En politique cela ne pardonne pas.
2020 : la dernière fenêtre
de tir ?
Bien sûr sa candidature ne
soulève pas vraiment les foules. Bien sûr au vu de son âge, on peut penser que visiblement
la retraite s’impose. Bien sûr ses vieux discours sont ennuyeux. Mais l’homme maintient
fermement le cap et semble animé d’une détermination décuplée, certainement
conscient que 2020 sera de toute évidence l’année de la dernière tentative de
reconquête du pouvoir pour lui.
Bien que le Chef de l'Etat proclame que la Constitution lui
accorde encore deux mandats, une pression internationale s’exerce sur lui afin
qu’il ne soit pas candidat. Quant à l’ex-président encore en procès à la Haye,
si son acquittement est presque acquis, cela ne garantit pas un retour
automatique en CI. Ainsi la perspective d’être le seul « poids
lourd » dans la course n’a certainement pas échappé au Président Bédié. Et cela renforce sa détermination.
Mais attention ! Le
Président de la République « donnera sa position définitive en 2020 sur sa candidature». Et il dispose toujours de la prérogative pour
introduire cet amendement qui imposerait une limite d’âge. Bien qu’il s’en
défende, cette option ou une initiative de ce type n’est pas totalement à
écarter. N’oublions pas qu’il a été catégorique sur le fait qu’il ne se
représenterait pas en 2020, avant de faire machine-arrière. Aujourd’hui, les choses sont claires pour lui :
s’il « n’y va pas », alors le président Bédié ne doit pas « y aller ».
Pourtant, ce serait un pari
risqué que de vouloir empêcher le président Bédié d’être candidat. On voit difficilement
l’homme accepter d’être mis hors compétition. Il reste déterminer
à participer à la prochaine présidentielle. Pour beaucoup, c’est cette
détermination qui fait temporiser le président Ouattara sur la fameuse disposition
constitutionnelle qui aurait limité l’âge des futurs candidats.
La fracturation des blocs
politiques : une donnée qui limite la portée des alliances
Le Président Bédié a ratissé
large en bâtissant une
plate-forme composée de 17 partis. Or les trois grands partis et
bien d’autres sont en proie à des dissidences, ce qui rend problématique le vote « comme un seul homme ».
Le PDCI a vu le départ de la
quasi-totalité de ses ministres. Ces personnalités ont un poids
dans leur région. Ils continuent d’utiliser le même logo et se revendiquent du
Président Houphouët, le fonds de commerce du parti.
L’ex-parti au pouvoir est
aujourd’hui une structure à « deux têtes ». L’une se réclame de
l’ex-président. L’autre est officiellement reconnue par les autorités.
Notons qu’à l’intérieur de la frange
fidèle à l’ex-président, son épouse constitue une menace pour la cohésion. Elle
vise la direction du parti, ce que son époux refuse.
Enfin le parti présidentiel est
aussi affecté par une dissidence incarnée par l’ex-président de l’Assemblée
nationale. L’homme a un poids certain sur la « composante
senoufo » de l’électorat du Nord
(le Tchologo, le Hambol, la Bagoué). Il y a aussi une dissidence larvée menée par l’UDPCI. Son président s’est ouvertement
déclaré candidat à la présidentielle, avant de « se calmer ».
Il y a peu de chances de
voir ces dissidences disparaître avant
la présidentielle de 2020, les
divergences étant trop profondes. Le
Président Bédié s’appuie sur un parti divisé,
et s’allie à un parti aussi divisé. Toutefois ses rivaux potentiels affronteront
aussi la même situation. La compétition reste donc ouverte.
La carte Tidiane Thiam
Ce ne sont pas des jeunes à
fort potentiel qui manquent au PDCI. Il
y a Thiery Tanoh, Jean-Louis Billon, et surtout Tidiane Thiam, dont le nom fut
avancé un moment. Il jouit d’un prestige
mondial pour ces compétences. Titulaire
de diplômes prestigieux, il dirige le Crédit suisse, la seconde de Suisse. Son
nom fut cité pour la succession de
Christine Lagarde au FMI (il est aussi français).
De 96 à 99, alors Ministre de la planification du développement,
il fut le concepteur des « douze travaux de l’éléphant d’Afrique »,
un ensemble de grosses infrastructures qui devaient faire de la CI une économie
émergente dès les années 2000. L’homme est lié à la famille du Président
Houphouët par sa mère. Le président Bédié avait avancé son nom, puis
s’est rétracté.
En tout état de cause, la
carte Thiam restera valable même après 2020. Car inéluctablement, il faudra du sang
neuf, une nouvelle impulsion pour le PDCI. Aussi le Président Bédié joue-t-il son va-tout en 2020. L’équation est
simple : soit il monte sur le trône, soit il dégage une bonne fois pour toutes.
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