Octobre 2020 : les religieux ne doivent pas déborder de leur périmètre


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Le Président de la République et son épouse en compagnie du cardinal  Kutwa, archevêque d’Abidjan,  à la Cathédrale Saint Paul. Quelle doit être la contribution des religieux pour la paix en Octobre 2020 ? La réponse est loin d’être claire contrairement à ce que l’on pense.


En Octobre auront lieu les présidentielles,  un moment de vérité, un moment redouté par  tous, les événements  2010-2011 étant encore dans les esprits. Ainsi des prophéties fleurissent sur internet. Chaque pasteur y va de sa vision. Si l’objectif est d’amener les Ivoiriens à prier pour  leur pays,es-ce néanmoins la bonne méthode ? D’autre part la tentation est grande pour la haute hiérarchie catholique d’intervenir dans le débat politique. Confusion des rôles ?


La contestation des élections : une constante en Afrique sub-saharienne


En matière d’élections, l’Afrique sub-saharienne semble marquée par deux constantes.  Primo, il n’y a pas un seul Etat où gouvernement et opposition sont en accord total sur les questions électorales (fichier, commission, découpage des circonscriptions  etc…).  Secundo, il n’y a pas un seul Etat où les élections ne sont pas contestées. 


Au Sénégal, les résultats des dernières présidentielles ont été rejetés en bloc par l’opposition. Au Ghana, Nanan Akuffo Addo (l’actuel président)  avait crié à la fraude et « mis en garde » la commission électorale, alors que les résultats tardaient à sortir. Au Bénin seuls deux partis ont eu le droit de  participer aux dernières législatives. La contestation a fait des victimes. Ces pays sont très souvent cités en exemple. Le seul pays qui ne connait pas de contestations est le Rwanda. 


En Côte d’Ivoire gouvernement et opposition sont en désaccord  sur la CEI. Une révision constitutionnelle est prévue qui va écarter des poids lourds, selon des rumeurs. Il y a la procédure judiciaire enclenchée contre l’ex-PAN et l’arrestation de ses partisans. Enfin on ne sait toujours pas si le Président se représentera.  Malgré ces incertitudes, faut-il pour autant prédire un  « remake »  2010-2011 ?


La crise de 2010-2011 n’était pas une crise post-électorale


On parle de crise post-électorale pour désigner les événements de  2010-2011. Cette lecture n’est pas juste. Il est  inexact  de dire que la crise de 2010-2011 était une crise post-électorale. La contestation des résultats  s’est superposée à un conflit qui n’était pas réglé au moment du vote.


Nous avons eu une reprise des hostilités (sur fond d’un contentieux électoral) entre deux armées qui se faisaient face depuis un certain temps. Ce conflit aurait repris quel que soit le résultat des élections. Un conflit entre deux Etats peut se régler  par des accords, mais un conflit interne à un Etat (un conflit civil) se règle toujours de façon définitive par la victoire d’une armée sur une autre. La crise de 2010-2011 a permis de crever l’abcès.


Contrairement à ce que l’on pense, l’acceptation des résultats n’aurait pas permis d’aller tout de suite à la paix et l’unité du pays,  car aucune armée n’aurait accepté de se dissoudre immédiatement dans l’autre. La pacification et l’unité du pays devaient absolument passer par une ‘’décision sur le terrain’’. C’est à ce prix que le nouveau pouvoir a reçu un pays pacifié et unifié, ce qui a permis de s’attaquer sans perdre de temps aux questions économiques.


Aujourd’hui le pays n’est plus dans la  même configuration. Une éventuelle contestation des résultats ne va pas se superposer à un conflit militaire préexistant. C’est un point majeur à souligner. On peut donc raisonnablement affirmer que le pays  aborde 2020 avec des risques moindres qu’en  2010. De ce fait, un certain optimisme doit prévaloir aujourd’hui, et non cette peur qui a gagné les cœurs et qui est diffusée via les réseaux sociaux.


Poster des prophéties sur Facebook : une démarche contre-productive


Sur Facebook aujourd’hui, il y a comme une campagne de peur concernant les futures élections. Beaucoup de prophéties annoncent des « moments difficiles », une crise  similaire à celle de 2010-2011. Cette démarche est censée amener les ivoiriens à prier pour leur pays. C’est noble. Mais il y a un effet collatéral. Ces prophéties  alimentent  l’anxiété, l’inquiétude,  l’angoisse.


Au fond, les pasteurs font le jeu des  « esprits de guerre » qu’ils prétendent chasser. Bien au contraire ils les enracinent dans la pensée collective. L’atmosphère est comme polluée par la peur. Pourtant un pasteur est avant tout un leader établi sur une communauté de fidèles.  Lorsqu’il a une vision, c’est exclusivement avec cette communauté qu’il doit la partager, c’est cette communauté qui doit prier selon la vision qu’il aura reçue. C'est la démarche à adopter.


Mettre sa  vision sur le web, ce n’est pas sensibiliser la population à la prière,  c’est courir après le buzz, après les followers. Prêcher  sur Facebook live  revient à prendre un mégaphone et se mettre sur la voie publique. Il faut faire preuve de responsabilité. Les Ivoiriens ont toujours été réceptifs aux « prophéties » qui concernent leur pays. C’est ce filon que ces « pasteurs du web » dont le controversé Makosso Camille, exploitent. La véritable prière pour la nation doit se faire à l’intérieur des communautés, pas sur le web.


La vieille tentation des cardinaux  africains



En 1990, l’Archevêque d’Abidjan Son Eminence le Cardinal Bernard Yago, avait voulu présider  une conférence nationale souveraine comme dans certains pays africains. Ces conférences étaient présidées par les prélats, elles démettaient les pouvoirs en place et nommaient  un premier ministre qui avait tous les pouvoirs jusqu’aux élections. La première conférence nationale s’est déroulée au Bénin.


Le Président Houphouët a fait comprendre au Cardinal Yago que les institutions du pays fonctionnaient. Il n’y avait donc pas nécessité d’organiser une conférence nationale souveraine. Ce fut le départ de la brouille entre les deux hommes, qui fut accentuée lorsque le Premier-Ministre (l’actuel Président) coupa les subventions accordées aux écoles catholiques dans le cadre de son plan de rigueur. La brouille dura les trois dernières années du pouvoir du Président Houphouët, il était reproché au Cardinal sa « proximité » avec l’opposition.


A l’avènement du Président Bédié en 1993, les relations se sont timidement améliorées. Puis en 1995, le Président Bédié désavoua publiquement la médiation de l’Eglise catholique dans la crise politique née du refus de l’opposition de participer à la présidentielle. Il faut dire que le  Président Bédié s’était nettement endurci. Aussi en 1999, les Evêques n’ont pas condamné en des termes clairs le coup de force du Général Gueye, signe des relations difficiles avec le pouvoir renversé. Ils ont pris part à l’Euphorie des tous premiers jours, avant de comprendre que ce coup de force était un dangereux précédent.


Avec le Président Gbagbo, les relations étaient plutôt bonnes, compte tenu de l’état d’exception dans lequel se trouvait la nation. Toutefois le Président Gbagbo était beaucoup plus proche des pasteurs évangéliques. Ils composaient sa garde rapprochée. Il semble que les Evêques lui avaient reproché sa  « polygamie »  assumée, ce sur quoi les pasteurs évangéliques fermaient les yeux. Durant la crise post-électorale, les Evêques lui ont demandé de se retirer,  tout comme ils l’avaient fait avec le Général Gueye durant la crise post-électorale de 2000.


Avec le Président Ouattara, excellentes depuis sa prise de fonction, les relations se sont nettement refroidies. A l’issue de leur récent conclave (Janvier 2020), les Evêques ont demandé la libération de tous les prisonniers politiques, et prévu une marche pour la paix le 15 Février, qu’ils ont annulée par la suite.


Pour le pouvoir on ne doit pas parler de prisonniers politiques.  Les personnes en cause n’ont pas été arrêtées du fait de leurs opinions, mais pour des actes posés. En demandant leur libération, les Evêques jugent infondées les charges retenues contre elles, ce qui est inacceptable. Le pouvoir estime aussi que la marche prévue puis annulée, allait s’inscrire dans la vision des partis d’opposition, les marches étant les moyens privilégiés de l'opposition en Afrique.


Trente ans après la brouille entre le Président Houphouët et l’Eglise catholique,  les données de la question restent  les mêmes. Les prélats africains veulent toujours être un contre-pouvoir. On a vu en RDC l’Eglise catholique jouer un rôle  politique de premier. Le Président Kabila a récemment reconnu que l’Eglise catholique a été pour beaucoup dans son départ du pouvoir. Les Evêques ivoiriens aspirent-ils à un rôle similaire ?


Pourtant, nous avons affaire à des Républiques laïques. Ce qui implique une stricte neutralité des religieux dans le débat politique. Ils sont astreints à un devoir de réserve. Pourquoi ne se concentrent-ils pas sur la prière ? Pourquoi veulent-ils déborder de leur cadre naturel et investir le champ politique ?



La prière, rien que la prière,  telle doit être l’unique périmètre des religieux


Dans les Ecritures, il est dit  que ‘’ la prière fervente du juste a une grande efficacité devant  l’Eternel’’. C’est dire que la prière d’une seule personne, à fortiori d’une seule communauté  peut faire la décision pour tout le pays. Nous n’aurons besoin ni de marches, ni de podcasts (vidéo sur Facebook).  Le Seigneur agira  dans la sincérité des cœurs et exaucera la prière.


Il  est aussi recommandé de ‘’prier pour les autorités car toute autorité vient de DIEU.’’  L’appel est clair et ne peut s’interpréter qu’au premier degré.  Dans toutes les communautés, dans toutes  les familles, des prières doivent être faites pour le Président et son gouvernement.  Cela seul suffit à garantir la paix si les prières sont ferventes.


Nos leaders religieux doivent concentrer leurs efforts sur la prière, uniquement la prière dans les communautés. La religion ne doit pas déborder ce cadre, car en dehors de cette démarche, nous ne sommes plus dans le religieux, mais dans la politique, dans le sensationnel, le médiatique, dans l’événementiel. L’extraordinaire contribution à la paix que doivent  apporter nos leaders religieux dans la perspective d’Octobre 2020,  réside simplement dans la prière. 

DIEU garde et bénisse  la Côte d’Ivoire.
Douglas Mountain

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