Les 49 soldats arrêtés au Mali : la Côte d'Ivoire a les moyens d'asphyxier l'économie de ce pays.

Abidjan le 05 Août 2022
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Colonel Assimi Goita, chef de la junte malienne. On dit l'homme nerveux, impulsif.  On lui                                       prête aussi des intentions présidentielles.


Depuis le 10 Juillet dernier, 49 soldats ivoiriens sont aux arrêts au Mali. Il leur reprochent d'être  « des mercenaires venus troubler l'ordre constitutionnel ». Ces soldats ne sont pas du contingent ivoirien de la MINUSMA, mais sont au service de la société SAS, une entreprise allemande qui sécurise l'aéroport de Bamako.  La pratique est courante, les entreprises partenaires des missions des Nations unis au Mali comme ailleurs, font appel à des soldats issus des armées de différents pays dans le cadre de leurs missions. Cela est notifiée au pays hôte. C'est en 2019 que la société SAS a eu recours à des soldats ivoiriens, les 49 qui ont été arrêtés devaient assurer la huitième relève des effectifs. Le Mali les accuse de « vouloir déstabiliser la transition », sans fournir le moindre document à cet effet. 


Le 19 Juillet dernier, le Colonel Goita, le Chef de la Junte au pouvoir à Bamako, s'est pour la première fois officiellement exprimé sur la question. Disant vouloir résoudre la crise « dans la bonne entente des relations fraternelles entre les deux pays », il en a appelé à la médiation du Togo. Mais les négociations ont rapidement échoué, les autorités de Bamako voulant échanger les 49 soldats contre « tous les individus recherchés par la justice malienne et réfugiés à Abidjan ». Pour la Côte d'Ivoire cela n'est ni plus ni moins qu'un chantage inacceptable.


Dans ce rapport de force, la Côte d'Ivoire a les moyens de rétorsion économique sur le Mali.  Les sanctions qui avaient frappé ce pays avaient été conçues afin d'avoir un impact limité sur les populations, qu'il s'agissait de ne pas punir. Ainsi la BCEAO avait suspendu ses concours au gouvernement, mais continuait d'approvisionner les banques commerciales. La junte a donc pu s'endetter auprès des banques, et payer les fonctionnaires. C'était un mécanisme connu de tous, qu'on a laissé fonctionner. Une suspension du concours de la BCEAO aux banques aurait immédiatement mis à genou le pouvoir de Bamako, ce qui aurait pu rendre la situation incontrôlable dans le pays. 


Or c'est quelque chose qui peut être mis en œuvre de façon subtile même en l'absence de sanctions officielles. La Côte d'Ivoire est au commande de la BCEAO quoi que l'on dise. C'est le gouverneur  de cette institution  ( qui a toujours été ivoirien en vertu d'une règle non écrite ), qui décide en dernier ressort du montant des concours à apporter aux banques commerciales des pays membres. Ainsi le pouvoir ivoirien est en mesure de  priver façon progressive les banques maliennes de liquidités en "donnant des instructions"  dans ce sens. L'activité commerciale va tout de suite être freinée.


La Côte d'Ivoire a deux autres cartes. Elle fournit au Mali Mali deux produits essentiels, l'électricité et le carburant. Ces produits n'étaient pas concernés par les sanctions précédentes. Si la Côte d'Ivoire venait à les suspendait, le Mali serait pratiquement à l'arrêt, surtout en ce qui concerne l'électricité. Il ne pourrait pas s'approvisionner ailleurs. Outre le fournisseur qu'il faudra trouver, ce qui reste très hypothétique, des travaux d'interconnexion seront nécessaires.  Quant au carburant , son effet se fera ressentir progressivement. La Côte d'Ivoire peut également fermer ses frontières. Le Mali va dérouter ses marchandises du Mali vers les ports de Lomé, d' Accra ou de Conakry. Mais il y aura des surcoûts sur les prix à la consommation du fait de l'allongement des distances. On le voit, le Mali peut perdre gros dans cette confrontation.



Karim Keita , le véritable objectif du Colonel Goita


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Karim Keita, fils de l'ex-président Ibrahim Boubacar Keita, est en fait l" homme que 

veut capturer Bamako. 

Karim Keïta, qui vit en Côte d'Ivoire depuis la chute de son père, l'ancien président Ibrahim Boubacar Keita, est dans le viseur du Colonel Assimi Goita  depuis que celui-ci s'est saisi du pouvoir. Il fait l'objet d'un mandat international lancé à son encontre. Mais la Côte d'Ivoire a refusé de l'extrader en l'absence d'un pouvoir issu d'élections en place à Bamako. Ce fut le premier contentieux entre les deux pays. Les autorités maliennes avaient par la suite arrêté l'ex protocole de Soro Guillaume, Souleymane Kamagaté dit "soul to soul", réfugié à Bamako et recherché par la justice ivoirienne. Elles s'étaient dites « disposées à un échange » contre Karim Keita. La Côte d'Ivoire n'avait pas donné suite à cette proposition


Assimi Goita fait de Karim Keita une priorité parce qu'il sait en son fort intérieur que tôt ou tard ce dernier va s'en prendre à lui, pour avoir été le "tombeur" de son père. Karim Keïta est jeune, ambitieux. Il a certainement eu le temps de mettre à l'abri une fortune, durant les huit années de règne de son père. Il est naturel qu'il cherche à reprendre un jour l'héritage politique paternel. C'est cela le cauchemar d'Assimi Goita. Il est clair qu'en faisant arrêter les soldats Ivoiriens, il avait bien en tête l'idée de les « échanger » contre Karim Keïta.


Il est à espérer que la crise trouve une issue dans le dialogue. La communauté malienne en Côte d'Ivoire est la seconde en importance après la communauté burkinabé, environ trois à quatre millions d'individus. Beaucoup d'Ivoiriens sont d'origine malienne du fait du brassage. En cas d'escalade, la question sera délicate pour la CI, des remous au sein de la population sont à craindre. Mais en tout état de cause, les mesures de rétorsion sont des options qui doivent rester sur ma table, et être bien visibles des Maliens. Car après avoir plus ou moins bien "géré" les sanctions de la CEDEAO, les Maliens peuvent penser n'avoir plus rien à craindre de ce côté ci. Or La Côte d'Ivoire est en mesure de prendre de façon unilatérale des sanctions qu'il leur sera difficile de contourner. 


Pour terminer, signalons qu'une autre crise se dessine entre le Colonel Goita et la CEDEAO. Selon la presse malienne, l'homme refuserait de s'engager sur un point essentiel pour la CEDEAO, celui de ne pas se représenter aux présidentielles prévues en 2024 dans le pays. Pour la CEDEAO, il est hors de question qu'il soit candidat. Le nouveau médiateur au Mali, l'ex-président nigérien Mahamadou Issoufou a été chargé de l'en dissuader. Cela risque d'être difficile, Assimi Goïta a désormais "pris goût" au pouvoir, il s'est incrusté dans la place, et il ne sera pas facile à déloger.



Douglas Mountain

Le Cercle des Réflexions libérales

oceanpremier4@gmail.com

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