Pascal Affi N'guessan a-t-il vraiment réalisé le hold-up du siècle ?
Abidjan le 04 Septembre 2021 Mis à jour le 20 Septembre 2021
Une profonde inimitié sépare désormais ces deux hommes. La séparation semble bel et bien définitive.
Le 09 Août dernier, devant un " comité central extraordinaire", le Président Laurent Gbagbo créait la surprise en annonçant sa décision d'abandonner le FPI entre les mains de son ex-Premier Ministre, Pascal Affi N'Guessan, et de créer une nouvelle formation. « Laissons Affi avec l'enveloppe qu'il détient. Nous allons changer de nom c'est tout », a-t-il déclaré. Deux jours plus tard, un " comité central extraordinaire " était aussi convoqué par Affi N'Guessan où il prononça "l'exclusion" du président Gbagbo du FPI. Le divorce était ainsi acté.
Pourtant, personne n'aurait imaginé ce scénario au lendemain du retour du président Gbagbo le 17 Juin dernier. On savait les deux hommes en désaccord, mais pensait-on, la présence effective de l'ex- président allait régler rapidement et définitivement la crise dans son parti. Mais un signe aurait dû alerter. Interrogé sur un plateau télé avant le 17 Juin, Affi N'Guessan ne semblait pas s'inquiéter du retour de son ancien patron. Pour lui, ce retour « clarifierait » la situation. Il ne se montrait pas plus précis. Cette sérénité était "suspecte".
Visiblement il avait un plan dans la tête. Beaucoup pensent aujourd'hui, qu'il s'était préparé à un long bras de fer judiciaire avec son ancien patron, car il savait la Loi pour lui. Le Président Gbagbo a justifié sa décision de lui abandonner le parti parce que justement, il n'entendait pas rentrer dans cette bataille judiciaire.
Le contexte de 2021 n'est pas celui de 2011, ou des années 2000
La position inflexible d' Affi N'Guessan lors de la dernière présidentielle a surpris tout le monde, y compris le pouvoir. il était perçu dans l'opinion comme une personnalité molle, sans charisme, à la solde du pouvoir en place.
On le pressentait même au gouvernement. Lors de cette crise, il est entré en opposition frontale avec le pouvoir, et la crise n'a vraiment pris fin qu'avec son arrestation. Une pression internationale s'est alors exercée sur les autorités ivoiriennes. L'Union européenne, les Etats Unis, Amnesty international etc... ont exigé sa libération, car il était vu à l'extérieur comme le chef de l'opposition ivoirienne. Il recevait à cet effet des appels des chefs d'Etat de la sous-région engagés dans la médiation. Tout cela lui a donné de la carrure, du volume. Il se voit désormais en grand. Il n'est plus le "petit gars" qu'il était en 2011, il n'a plus " froid aux yeux " désormais, le président Gbagbo "ne lui fait plus peur", et visiblement ce dernier a dû mal à intégrer cette nouvelle dimension de l'homme.
D'autre part, étant à la tête du parti, Affi N'Guessan reçoit les subventions de l'Etat. Ce ne sont pas de petites sommes. Son statut de chef de l'opposition à l'Assemblée lui donne droit à certains avantages financiers. En rendant le parti, il perd tout, il revient à zéro, on lui retire du "pain de la bouche". Logiquement on devait s'attendre à ce qu'il résiste, pose des conditions, exige des compensations, des garanties. L'homme joue son avenir, sa survie politique, et dans de pareilles circonstances il va s'accrocher, c'est une évidence.
" Je suis ton patron, je suis maintenant de retour, rends moi ma chose et casses-toi". C'est un peu dans cette posture que le président Gbagbo a abordé la question avec Affi N'Guessan. Il voulait sa capitulation pure et simple. Cela ne pouvait déboucher que sur des blocages, car si le Président Gbagbo a la légitimité, la légalité est du côté d' Affi N'Guessan, et c'est elle qui prime. Légalement, le Président Gbagbo "ne peut rien contre lui ", il n' est pas en position de force pour exiger son départ, car en dix ans, les lignes ont bougé. Ce sont tous ces aspects que le président Gbagbo n' a pas pris en compte, dans son approche de la question.
La reconnaissance et la gratitude
L'actuel Ministre délégué aux Affaires Etrangères, Alcide Djédjé, a traité le Président Gbagbo "d'incapable à gouverner un pays". Pourtant il était Ministre des affaires étrangères lors de la crise post électorale, et dirigeait l'équipe mise en place par le Président Gbagbo pour négocier avec les médiateurs. Voho Sahi, l'actuel ambassadeur en Algérie, était Ministre de la culture sous Gbagbo, il écrivait ses discours. C'est dire leur intimité. Mais il lui a tourné le dos aujourd'hui. L'ex-ambassadeur au Cameroun, Allou Eugène est aujourd'hui dans les bonnes grâces du pouvoir, même si officiellement il n'a pas de fonctions. C’était aussi un intime de l'ex-président. La liste est longue des personnalités qui ont "mis de côté" leur fidélité au président Gbagbo, pour donner une autre orientation à leur carrière. Ils sont dans la même démarche qu'Affi N'Guessan .
C'est le Président Bédié qui a sorti Patrick Achi de l'anonymat en le faisant entrer au gouvernement en 2001. En 2018, Patrick Achi et tous les autres, lui tournaient le dos. En restant fidèles à l'homme, ils "perdaient gros dans l'affaire". Aujourd'hui l'homme est Premier-Ministre. En RDC, l'ex-président Kabila n'a plus personne auprès de lui, tous ont rejoint le camp du nouveau président Thishekedi. En Mauritanie et en Angola les présidents actuels se sont déchainés contre leur prédécesseur dont ils étaient pourtant de fidèles compagnons durant des décennies. Au Zimbabwe en 2017, le vice-président Emmerson Mnangagwa a dégagé son "papa", le vieux président Mugabé, et prit sa place, etc ......etc.....etc.....
La reconnaissance, la gratitude n'entrent pas en ligne de compte lorsque la survie politique , la carrière, sont en jeu. Les choses fonctionnent ainsi en politique, ici comme partout ailleurs. Sous le coup des émotions, on peut qualifier Affi d'ingrat. Mais politiquement, sa démarche est logique, car en cédant le parti, il est politiquement et financièrement " mort ". Personne ne fera plus attention à lui. Il ne pourra plus travailler avec le président Gbagbo, ni avec le pouvoir, qui se méfie désormais de lui, même si les autorités se réjouissent de ce qui se passe entre les deux hommes. En créant son parti, il ne pèsera pas grand chose.
Or quoi qu'on dise, le FPI reste une vitrine en tant que l'ex-parti du Président Gbagbo, un parti qui a déjà des structures ( même si l'enveloppe est vide ), et dont le président bénéficiera forcément d'une exposition médiatique, en plus des sommes alloués à l'Etat aux partis politiques, et beaucoup pensent qu' Affi N'guessan tentera de drainer vers lui la "composante akan" de l'électorat. On verra si l'exercice réussira.
Quoi qu'il en soit, ce n'était pas réaliste de lui demander de céder la présidence "sans rien en retour", sans aucune perspective sur son avenir, en le "laissant sur le carreau". Le Président Gbagbo aurait dû faire des concessions, procéder avec finesse, par étapes. Cela aurait peut-être pris un an ou deux, le temps qu'Affi relâche son emprise et soit poussé vers la sortie. Il ne fallait pas aborder la question de façon frontale en réclamant la présidence de droit, et tout de suite. Ce n'était pas la bonne approche.
Un autre hold-up en " préparation " ?
La crise au FPI comporte en réalité trois protagonistes, et rien n'est encore joué. Tout reste possible.
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