Thiam / Ouattara : un duel impitoyable se dessine à l'horizon
Politique
Un clash inévitable
Parcours universitaire prestigieux, carrière internationale brillante , musulman pas
forcément pratiquant, le président Ouattara et Tidjane Thiam ont plusieurs points
en commun, mais ils vont inévitablement croiser le fer car il ne peut y avoir deux
"homme-forts" dans la place.
Sitôt élu à la tête du pdci, Tidjane
Thiam avait déclaré lors de sa première interview que « le
président Ouattara est un économiste de renom qui a fait des choses utiles pour
le pays». Dans une seconde interview, il a promis incarner une
« opposition constructive ». Mais ce ton apaisant semble ne pas
avoir fait long feu. Dans son message aux militants le 31 Décembre
dernier, avec un ton grave, déterminé et froid, Thiam est revenu sur son
élection, s'insurgeant des manœuvres dont fut victime son parti
« alors que les militants ne désiraient qu'exercer leur droit d’élire
simplement leur président ».
Pas besoin d’être politologue pour
déceler qu’il pointe la responsabilité du pouvoir dans la décision de justice
qui avait « suspendu » la tenue du congrès à Abidjan le 16
Décembre dernier. Thiam sait qu’il était personnellement visé. Il sait que
la confrontation avec le pouvoir n'est qu'une question de temps. Aussi dans son
discours il mène méthodiquement une attaque en règle, évoquant la cherté
de la vie, le chômage des jeunes, les conditions de vie difficile des
travailleurs, promettant de convaincre par les idées et non "par la force
ou par l'invective". Un discours calme mais offensif, car en tant que
chef de l'opposition c’est lui qui incarne désormais une alternative au pouvoir
actuel.
« Quelle que soit la date qui sera de nouveau choisie, quelle que soit la formule, je serai candidat ». Cette déclaration faite le matin du 16 Décembre devant la maison du pdci dont les forces de l’ordre interdisait l’accès, était destinée à ses rivaux à l’intérieur du parti, mais aussi au pouvoir. Il entendait par là montrer qu'il se lançait cette fois. Elu à la tête du pdci le 23 Décembre, Thiam remettait le 09 Janvier dernier sa démission au groupe français Kering, afin « d’avoir la disponibilité nécessaire pour se consacrer pleinement à ses engagements politiques ». La marche-arrière lui est désormais interdite.
Le président Ouattara défié sur ses "terres"
Thiam semble exactement se heurter aux mêmes obstacles qu'avait dû affronter le président
Ouattara en son temps. L'histoire va-t-elle se répéter en Côte d'Ivoire ?
Le 02 Février dernier, la presse
révélait que Thiam a sollicité une audience auprès des services du président
Ouattara depuis le 18 Janvier, qui est restée jusque-là sans réponse. Si lors
de son retour en Côte d’Ivoire en Août 2022, il avait réservé sa première
visite au président Ouattara qui lui avait rapidement accordé une audience,
cette fois les choses sont différentes. Il se pose ouvertement en rival, ce qui
amène à dire que le président Ouattara veillera à ne lui accorder aucun espace
pouvant conforter cette stature. Il est donc probable que cette audience
n’intervienne jamais, ou alors elle sera parfaitement encadrée par les services
du protocole et la communication présidentielle afin qu'elle soit tout en
faveur du président. Il y a donc une première bataille qui se joue actuellement
à ce niveau.
Thiam se donne pour priorité de
reconquérir le Nord. Il l' a rappelé dans son adresse de fin d'année. Si
la population musulmane, et celle issue de l’immigration ont toujours été
acquises au président Ouattara, Thiam peut amener une cassure dans ce soutien
inconditionnel, parce qu’il est musulman, et parce qu’il descend de
l’immigration par son père. En surfant habilement sur la fibre religieuse,
comme l'a plus ou moins fait le président Ouattara en son temps, la démarche
peut rencontrer un certain succès. Sa visite au COSIM (Conseil Supérieur des
Imams) le 06 Décembre dernier, a donné lieu à beaucoup de commentaires.
Elle s'inscrivait certainement dans cette vision. Thiam veut reconquérir la
population musulmane, dont le soutien fait cruellement défaut au pdci en ce
moment.
Sur le plan professionnel, le président
Ouattara a toujours joui d’une grande estime d’abord du fait de son parcours
universitaire, et des institutions où il a exercé. Mais Thiam a aussi entrepris
un brillant parcours universitaire, a aussi exercé dans des grandes
institutions, a aussi un important carnet d’adresses. Nous avons donc deux
personnes dont les qualités se neutralisent, avec cependant un avantage à Thiam
du fait de sa jeunesse.
Sur le plan économique, les réalisations
du président Ouattara sont impressionnantes (autoroutes, ponts, échangeurs,
universités, barrages, stades, infrastructures portuaires, ferroviaires,
hospitalières…..etc…....). Son bilan paraît « inattaquable ».
Pourtant son pouvoir est atteint par une forme d’usure, à l'instar de celui du
Président Houphouet à la fin des années 80. C'est un processus
naturel. D'autre part, les récurrents scandales de corruption montrent que
l’économie reste gangrénée par ce fléau, sur lequel il semble ne plus avoir de
prise, certainement du fait de l'âge. La dette ivoirienne « grossit »
dangereusement, et pour les détracteurs du régime, le népotisme
(« rattrapage ethnique ») a été "institutionnalisé".
Ainsi, trouver des angles d’attaque ne
sera pas bien difficile pour Thiam, même s’il ne va certainement pas proposer
quelque chose de fondamentalement différent de ce qui a été jusque-là mis en
œuvre, étant aussi libéral que le président Ouattara. D'autre part Thiam
peut aussi mettre en avant son bilan de 1994 à 1999 en tant que directeur du
BNETD, puis ministre du Plan. Certains de ses travaux ont permis au Président
Ouattara d'accélérer une fois aux affaires. Tout porte donc à croire que le
président Ouattara sera défié sur ses acquis, sur ce qui est mis en avant quand
on parle de lui, sur ses "terres" en quelque sorte.
La partie sera délicate pour le pouvoir du Président Ouattara
Le Président Ouattara semble affecter le détachement, pourtant Thiam représente
la plus grande menace à son régime, ce dont il en est certainement conscient.
Soulignons que des personnalités telles
que Thiam qui jouissent d’un grand prestige à l’international, ne peuvent pas
être mises aux arrêts comme des opposants ordinaires. Leur cas est difficile à
« traiter » par les pouvoirs africains. Ils jouissent toujours d’une
sorte d'immunité en dépit du climat de répression qui peut exister dans les
différents pays. D' autre part, le président Ouattara a un autre dilemme.
Qui mettre en avant s’il décide de ne pas briguer un quatrième mandat ? Sa
marge de manœuvre paraît étroite, les candidats de poids étant rares, voire
inexistants, en dehors de son jeune frère TBO ( qui semble hésiter à se
lancer). Quelle que soit la personne choisie, elle ne fera tout simplement pas
le poids face à Thiam.
Ainsi donc, que le président Ouattara
décide ou non de se retirer, Thiam reste un obstacle qui se dresse sur son
chemin, une menace existentielle qu'il faudra obligatoirement
neutraliser. Si on ne peut pas affirmer que la panique a gagné le
camp présidentiel, certaines sorties de ministres sur Thiam, traduisent une
nervosité, une frilosité croissante. Le pouvoir semble conscient que la partie
sera délicate, qu’il faudra jouer « serrer » cette fois du fait de
l'envergure du personnage en face.
Certes, comme nous l'avons signalé dans
plusieurs articles, Thiam reste novice sur pied des aspects, et sa capacité à
tenir un pays n'est pas établie. Il aura besoin de s'endurcir un peu plus. Il
semble aussi ne pas remplir certaines dispositions constitutionnelles pour
faire acte de candidature à la présidentielle. Pourtant, comme pour le
président Ouattara en son temps, ceux et celles qui sont derrière lui en ont
cure. Ils le veulent à la tête de l'Etat. Tout le reste ne compte pas pour
ainsi dire. Il faudra s'attendre à de la casse si sa candidature est invalidée,
une intention que beaucoup d'analystes prêtent au régime.
« Je vais rendre le PDCI plus moderne, plus attrayant et plus efficace, sans perdre de vue l’objectif du retour au pouvoir », avait-il promis le 09 décembre dernier, devant des milliers de partisans acquis à sa cause, lorsqu’il lançait sa campagne pour la présidence du pdci. Des paroles qui ne sont certainement pas tombées dans des oreilles de sourds du côté du régime. Va-t-on assister à une nouvelle bataille de Kirina entre le jeune guerrier Soundjata Keita plein d'ambitions, et le puissant monarque Soumangourou Kanté qu'on disait invulnérable ? Puisse DIEU toujours préserver la paix sur cette nation.
Douglas Mountain
Le Cercle des Réflexions Libérales
Image forte
Est-ce ce type d'images que veulent
désormais éviter les services de communication de la présidence si le président
Ouattara accordait une audience à Thiam ? La taille de ce dernier semble lui donner
un ascendant naturel sur tous ses interlocuteurs. Ils sont "tout
petits" à ses côtés. Ci-dessus une photo prise avec le président Ouattara
lors du sommet UA-UE en Février 2022 à Bruxelles en Belgique.
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