Primes aux agents des Impôts : un frein à la croissance

 

Abidjan le 24 / 07 / 21

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La Tour E au Plateau,  le  siège  de  la  Direction  Générale  des  Impôts  à                                                            Abidjan. 


A la faveur de la grève annoncée à la Direction Générale des Impôts (DGI) le mercredi 21 Juillet 2021, ( mot d'ordre qui a été finalement levé), nous allons mettre sur la table la question des primes qui sont versées chaque trimestre aux agents de cette structure. Le sujet a toujours été entouré d’un silence impressionnant, comme on le dit en Côte d’Ivoire,  « l’argent n’aime pas le bruit ».

 

Certes il n’y a pas que la Direction Générale des Impôts (DGI) qui verse des primes aux agents. Le Trésor, les Douanes en font de même, ainsi que bon nombre de ministères (Commerce, Finance, Agriculture, Eaux et forêts, défense etc..etc….), et diverses administrations (hôpitaux, commissariats, universités, etc…etc…..).

 

La première anomalie à noter est l’absence totale de statistiques nationales sur le phénomène. A ce jour, le Ministère des Finances est incapable de fournir une quelconque statistique concernant ces flux. Et pour cause, il n’a aucune prise sur ces « salaires bis », ce qui reste difficile à comprendre car nous avons affaire à des administrations publiques. La seconde anomalie concerne la légalité de ces primes. Visiblement ces administrations (notamment les Impôts, les Douanes et le Trésor) s'approprient une partie des fonds qu’elles collectent pour le compte de l’Etat. La pratique est-elle légale ? Que disent les textes ? Et pourquoi les « grilles salariales » ne sont-elles pas harmonisées mais diffèrent selon les administrations ?

 

Totalement hors de contrôle, le phénomène des primes constitue aujourd’hui une gangrène qui mine la compétitivité  de l’économie ivoirienne, et qui conduira à une rupture si les choses restent en l'état.

 

La Direction Générale des Impôts (DGI) ne reverse pas dans les caisses du Trésor public, les pénalités qu’elle applique aux entreprises qui ne paient pas leurs impôts dans les délais. D’autre part, lorsqu’une entreprise subit un contrôle, si des irrégularités sont constatées dans sa comptabilité, alors  les recettes issues des nouveaux impôts (les rappels) qu’elle doit payer, ne sont pas aussi déclarées au Trésor public ! Dans les deux cas, ces recettes alimentent un compte  dans une banque de la place, compte qui sert à régler les primes des agents.

 

Si à l’époque  les montants en question étaient négligeables, aujourd’hui le volume des flux non déclarés au Trésor public suscite des interrogations. A l’échelle de toutes les structures qui s’adonnent à cette pratique, ce sont des centaines de milliards qui ne sont pas déclarés au Trésor chaque année. Les caisses de l’Etat sont ainsi amputées de ressources précieuses. Encore une fois la question de la légalité de cette pratique se pose. Ces administrations sont-elles dans leur droit en s’appropriant des ressources qui appartiennent à l'Etat dans leur intégralité ?

 

Bien entendu les contrôles dans les entreprises sont nécessaires pour  s’assurer que la comptabilité est tenue selon les dispositions en vigueur.  Mais le fait d’assigner en début d'année des objectifs de recettes à ces futurs contrôles (parce qu’il y a des primes à payer), est une pratique nocive pour notre économie.

 

C’est présumer dès le départ que les entreprises qui seront contrôlées seront en infraction, et c’est aussi fixer leurs peines à l’avance. Car une fois à l’intérieur d’une entreprise, les agents commis à la vérification sont guidés par les objectifs de recettes qu’on leur a fixés.  Ils trouveront matière à taxer, que l’entreprise soit en règle ou pas. C’est bien là le drame. La fiscalité relève à la fois de la comptabilité et du droit, ainsi beaucoup de dispositions sont sujets à interprétation, ce qui ouvre  la porte aux abus.

 

Les contrôles et redressements fiscaux débouchent  sur des montants à payer dont il est difficile de se soustraire. Les entreprises qui les subissent diffèrent, réduisent ou annulent leurs investissements. Souvent c’est le personnel intérimaire qui est mis sur la touche,  les embauches gelées. Pour les entreprises en situation de monopole, les prix à la vente sont impactés à la hausse, ce qui alimente l’inflation.

 

En 2017, plusieurs  entreprises de téléphonie mobile  ont été fermées par les autorités. La plus importante traînait depuis des années une lourde dette fiscale (arriérés d’impôts) issue de plusieurs contrôles. Elle  ne pouvait à la fois honorer cette dette et entreprendre les investissements nécessaires dans ce secteur de pointe. Elle n’a pas pu être recapitalisée (la dette fiscale effraie souvent les investisseurs potentiels et les banques). Elle a donc décroché sur le plan commercial et s’est retrouvée à la traîne des autres. Combien d’entreprises ont connu ce sort dans le silence ?  Si on ne peut démontrer de façon certaine que les contrôles entraînent des faillites d’entreprises, ce sont de toute évidence des facteurs aggravants, qui déstabilisent leur trésorerie.

 

D'année en année, le volume des primes  prend de l’ampleur. Les primes représentent entre 08 et 18 fois le salaire mensuel des agents, et sont versées chaque trimestre !  Elles  sont revalorisées tous les deux ans, et sont attribuées chaque année à un nombre croissant de fonctionnaires. Il s'agit donc d'une masse salariale parallèle en hausse constante. A travers l’arme des contrôles, la Direction des Impôts telle une pieuvre, suce le sang de l’économie ivoirienne, pour le compte des primes et ristournes qu’elle verse à ses agents. C’est dangereux. Ces structures vont finir par devenir un Etat dans l'Etat vu leurs ressources propres gigantesques. Elles vont finir par faire jeu égal avec l'Etat, ce qui peut déboucher sur des revendications politiques à la faveur des grèves. D'ailleurs l'Etat vient de leur accorder l'éssentiel de leurs revendications à la faveur de la grève qu'il projetait le 21 Juillet dernier. Ce qui va résulter en des primes encore plus importantes.

 

Les autorités doivent réagir. Les primes ne doivent pas être un butin que se partagent les administrations publiques à ouïes clos.  Il y a une mafia institutionnelle qui s’est constituée au fil des ans autour de ces fonds,  et le sujet est  tabou. L’Etat doit reprendre la main sur cette question, il doit avoir un droit de regard sur ces fonds. Il faut absolument saisir les contours de cette masse salariale parallèle, en disposant de statistiques actualisées (sur une base annuelle) de ces flux. Ensuite il faut harmoniser, uniformiser les « grilles », les primes ont proliféré ces dernières années, les administrations publiques facturant désormais des services qui autrefois étaient gratuits. Enfin il faut réfléchir à concéder au privé la collecte de certains impôts. 

 

Aujourd’hui dans les communes d’Abidjan, la collecte des taxes  est concédée  à des cabinets privés.  L’expérience s’est généralisée, preuve de son efficacité. Notons aussi la vignète automobile. Cette taxe était autrefois collectée par la Direction Générale des Impôts, les recettes « se volatilisaient ». En 2014 elle a été confiée à la SICTA (Société Ivoirienne de Contrôle Technique Automobile). Elle se règle désormais en même temps que la visite technique.  C’est un partenariat gagnant-gagnant entre l’Etat et cette entreprise. Le permis de conduire, le passeport ont été confiés à des structures privées.

 

Le gouvernement  doit regarder dans cette direction s’il veut donner plus de compétitivité à l’économie ivoirienne. Il faut de plus en plus concéder au privé la collecte des Impôts. Bien sûr l’approche devra être graduelle, mais la concession à des structures privées de la collecte des Impôts est la solution d’avenir. Cette approche doit s'accompagner d’un démantèlement graduel de la Direction des Impôts. Il faudra s’attendre à des résistances, mais  c'est à ce prix que ce fera l'assainissement. 

Douglas Mountain                 oceanpremier4@gmail.com


Commentaires

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