Retour sur la succession du Président Houphouët
Abidjan le 11 Février 2021
Ouattara et Bédié en 1992, à l'aéroport FHB d'Abidjan, pour accueillir le Pdt
Houphouet rentrant de France. Le premier était Premier Ministre, et le second
Président de l'Assemblée nationale ivoirienne. Derrière les sourires de façade,
le « duel à distance » avait déjà pris place.
Début 1990 : La nation ivoirienne face au péril de la crise
Dans les premiers mois de l’année 1990, la CI est dans une situation financière désastreuse. Le pays a refusé de vendre son cacao durant les deux dernières campagnes dans le but de créer une pénurie artificielle et faire remonter les cours. Mais la manœuvre a échoué. Les prix sont restés bas. Ayant désespérément besoin d’argent, le pays vend au rabais sa production, qu’il ne parvenait d’ailleurs plus à stocker.
Les recettes dégagées ne sont pas à la hauteur. Il y a aussi les échéances de dette à régler. La réduction des dépenses de l'Etat s’impose. Le Ministre des finances de l’époque Koumoué Koffi présente un plan de réduction drastique des salaires, accompagné de la réduction du prix de certains produits alimentaires pour compenser la baisse du pouvoir d’achat des populations.
Mais les fonctionnaires refusent. Il s’ensuit des marches, des grèves et des casses. La situation est explosive. Dans une allocution à la nation, le Président Houphouët déclare en frappant du poing sur la table, que les mesures de réduction des salaires seront « intégralement appliquées ». Puis décide finalement de faire marche-arrière car entre-temps les revendications étaient devenues politiques. La population remettait désormais en cause le parti unique.
Pour sauver la face, le Président Houphouët met sur pied un comité interministériel de stabilisation et de relance, dont la fonction est de redresser les finances du pays. A la tête de ce comité, il nomme le jeune gouverneur de la BCEAO à l’époque, un certain Alassane Dramane Ouattara, un homme parfaitement inconnu. Dès cet instant, le Président Houphouët se met en retrait, tandis que le Président du comité de stabilisation et de relance devient peu à peu le maître du pays.
Le gouverneur de la BCEAO : le curieux choix du Président Houphouët
En fait, Alassane Ouattara était apparu sur les « radars » pour la première fois lorsqu’il a été nommé gouverneur de la BCEAO en Octobre 1988, en remplacement du gouverneur Abdoulaye Fadiga décédé quelques mois plutôt. Il avait été nommé en tant que citoyen ivoirien, le poste de gouverneur de cette institution étant exclusivement réservé aux Ivoiriens selon une règle non écrite. Peu d' Ivoiriens à ce moment-là avait fait attention à lui, la BCEAO étant une structure dont le siège est à Dakar. Pourtant une question se pose tout de même . Pourquoi a-t-il été choisi par le Président Houphouët à la tête de la BCEAO ? Ce choix ne s'explique pas .
Certes l’homme avait travaillé à la BCEAO durant les années 70 jusqu’en 1984. Mais rien n’atteste que le Président Houphouët le connaissait, puisqu’il n’avait jamais travaillé en CI. Le Président entendit-il parler de lui lors des contacts que la CI noua avec le FMI dans les années 80 ? L'homme était DGA du FMI, et Directeur du département Afrique. C'est certainement à ce moment que le Président Houphouët entendit parler de lui. Mais de là à le nommer, il a fallu que quelqu'un en discute avec le président Houphouët. Est-ce le gouverneur Fadiga qui le proposa avant d'être emporté par la maladie ? Est-ce Lamine Diabaté, ancien Directeur National de la BCEAO et ministre par la suite ? Une chose reste claire : on a soufflé son nom à l’oreille du Président Houphouët. Qui ? Mystère.
Bien entendu le Président Houphouët s’est longuement entretenu avec lui avant de le nommer gouverneur, et a sans doute été fortement impressionné par l’homme. Cette entrevue a eu une importance capitale pour la suite. Car dix-huit mois plus tard, devant une situation bloquée, le Président Houphouët va se souvenir de lui, le rappeler à ses côtés, et lui confier cette fois, la direction du pays.
La stabilisation et la relance de l'économie ivoirienne
Pour équilibrer un budget, on peut accroître les recettes, ou réduire les dépenses. Le plan koumoué Koffi prévoyait une baisse drastique des salaires (donc des dépenses) afin de faire des économies. Mais la population refusait cette mesure. Devant ce blocage, ce ministre et au-delà toute la classe politique ivoirienne, fut incapable de proposer un autre plan de sortie. Tout le monde autour du Président Houphouët ne jurait que par la baisse des salaires.
Pourtant il s’agissait de se calmer et de répondre à une question simple : comment baisser les dépenses (sans toucher aux salaires) et accroître les recettes? Les personnes qui gravitaient autour du Président Houphouët n’ont pas su faire preuve de créativité, ont vite paniqué et se sont plantées.
Les mesures contenues dans le plan de stabilisation et de relance du gouverneur Ouattara étaient relativement simples. C’étaient des mesures de bon sens. L’homme n’a rien inventé. Il a gardé son sang-froid et fait preuve d’inventivité. Par la suite, il a réformé l’administration publique. Là également cela faisait appel au bon sens. Il s’agissait toujours de répondre à cette même question: comment baisser les dépenses (sans toucher aux salaires) et accroître les recettes. Il n’y a avait rien de sorcier. L'homme a procédé par petites touches. Il s’agissait juste de réfléchir calmement au problème.
Un homme en terrain totalement inconnu
Le gouverneur Ouattara donnait l’impression de tout savoir, il dégageait un charme mystérieux qui donna naissance à une sorte de « mythe sur sa personne ». En réalité, il était en terrain inconnu et découvrait le fonctionnement concret d’un Etat. C’était un brillant économiste certes, mais il n’avait jamais été impliqué dans la mise en œuvre concrète d’une politique économique. C'est quelque chose qu'il découvrait.
Concevoir des plans est une chose. Les appliquer sur le terrain en est une autre. Du jour au lendemain, il avait été propulsé à la tête d’un Etat au bord de la faillite et de l’explosion sociale. C’était délicat. Au tout début, il tâtonnait et dut faire une entorse aux dispositions en vigueur à la BCEAO en accordant de généreuses « avances remboursables » à la CI, le temps que son plan produise les économies espérées. Ce sont ces avances qui ont véritablement sauvé la mise au pays. Car durant tout le temps qu'il demeura à la tête de l'économie ivoirienne, il était aussi gouverneur de la BCEAO.
Le Premier Ministre : 07 Novembre 90 – 07 Décembre 93
Dès que le Président Houphouët renonce à réduire les salaires, la tension sociale retombe. Peu à peu, les Ivoiriens commencent à découvrir le gouverneur Ouattara. Mystifiant l’opinion par des termes techniques, faisant l'unanimité sur ses compétences techniques, l'homme dominait le débat. Il n’avait pas de contradicteurs sur les questions économiques. Aussi l’opposition focalisait le débat sur la « corruption du régime », et souvent sur la '' question de sa supposée nationalité ''.
Mais la véritable résistance à son plan venait de l’intérieur. Le comité interministériel de stabilisation et de relance était une structure provisoire, censée être dissoute lorsque la situation serait assainie. Ce comité existait en parallèle avec le gouvernement. Un conflit larvé opposait ces deux structures. Certains membres du gouvernement estimaient ne devoir rendre des comptes qu'au Président Houphouët. Ils mettaient ainsi tout en œuvre pour l'échec des mesures préconisées par le gouverneur Ouattara.
Le Gouverneur Ouattara obtint une première victoire en faisant nommer un nouveau ministre des finances, en la personne de Daniel Kablan Duncan, un homme inconnu de l’opinion, mais connu du pouvoir pour avoir dirigé la CNPS. Pourtant cette première victoire n’était pas suffisante.
Las de devoir toujours intervenir, et devant l’ampleur des opérations occultes des gouvernements passés, qui étaient désormais mises à nu, le Président Houphouët finit par trancher en le nommant Premier Ministre, le 07 Novembre 1990, six mois après avoir fait appel à lui. C’ était désormais lui le patron dans la place. L’homme s’adressa à la nation à l’occasion de la toute première célébration de la fête de la paix le 15 Novembre 1990. On le sentait totalement novice en politique.
Le 28 Octobre 1990, avait lieu l’élection présidentielle. Pour la première fois, le Président Houphouët avait un adversaire, l’opposant historique rentré d’exil quelques mois plus tôt. La campagne électorale fut violente. L’angle d’attaque de l'opposition était la corruption du régime. En face, le président du comité de stabilisation faisait la promotion de son plan, devant sortir le pays « définitivement » de la crise.
Le Premier Ministre Ouattara à l'épreuve du pouvoir
Le Premier Ministre forma son gouvernement, et dans la ferveur populaire, promit d’en finir avec la crise dans un délai de 100 jours. C’était une prédiction imprudente, totalement irréaliste, qui a pourtant fait naître beaucoup d’espoir dans le pays. Bien sûr aucun miracle ne s’est produit au terme de ce délai. Mais le Premier Ministre fit une conférence de presse où il annonça que la phase de stabilisation était « terminée », le pays désormais « mettait le cap » sur la relance.
Pourtant cette relance tardait. Après trois années, la politique de rigueur n’en finissait pas. « Si aujourd’hui les temps sont durs, demain ils seront meilleurs ». Tel était, dans le fond, le message véhiculé. Mais ce « demain » n’arrivait pas, aussi l’impatience grandissait. A partir de 1993 les grèves ont commencé à se multiplier dans le secteur public.
Le charme du PM n’opérait plus. La population voulait « du concret ». L’homme était au pied du mur dans les derniers mois de l’année 1993. Le contexte politique était lourd. La maladie prolongée du président Houphouët avait fait resurgir la guerre des ambitions au PDCI, et l’opposition réclamait un « gouvernement de transition ». Après trois années aux commandes, le PM avait lui aussi pris « goût à la chose », et ne cachait plus désormais son désir de « demeurer à son poste ».
Se dressait devant lui, le président de l’Assemblée nationale (PAN), Henri Konan Bédié. Visiblement l’homme attendait « son heure ». Cette rivalité entre les deux hommes s’étalait désormais ouvertement dans la presse à partir de 1993. Par son secrétaire général (Laurent Dona Fologo à l’époque), le parti au pouvoir, le PDCI, fit une déclaration officielle pour soutenir le PM. Mais la vieille garde de ce parti, les militants de première heure comme on les appelait à l'époque, penchaient pour le PAN.
La succession du Président Houphouët
Le 06 Décembre 1993 à 20h, avec sa froide assurance de technocrate, le PM Alassane Ouattara s’adressait à la Nation pour le traditionnel message de l’indépendance. C’était une démarche audacieuse, car de mémoire d’Ivoiriens, ce message avait toujours été délivré par le Président Houphouët. Personne ne s'attendait à voir le PM faire ce discours. Ce fut un électrochoc.
Ce discours se voulait « rassembleur », mais était dans le fond une mise en garde à l’intention des partis politiques d’opposition, du Président de l’Assemblée nationale (PAN), et de tous ceux et celles qui contestaient son autorité. A tous, le PM signifiait qu’il tenait fermement la barre, qu’il était le seul maître à bord.
Mais le lendemain 07 Décembre 1993 jour de l’indépendance à 11h, ce que l’on refusait d’envisager arriva. Le Président Houphouët rendit l’âme à Dieu peu avant la cérémonie de prises d’armes au Palais présidentiel. Le PM maintient néanmoins la cérémonie avec les autres Présidents d’institution à ses côtés, dont le PAN. Les deux hommes s'évitent, mais savent que la « partie de poker » a commencé.
Après la cérémonie, le PM descend à la télévision à 13H pour annoncer la nouvelle. Mais elle s’était déjà répandue. Durant son allocution, tout se fige dans le pays, tout s’arrête, la chose semble irréelle. Ensuite il fait garder la RTI par un corps d’élite de la police. Plus tard dans la soirée, le ministre de l’information annonce que le gouvernement va saisir la cour suprême pour constater la vacance du pouvoir, sans donner plus de précisions.
Pour le PAN, Konan Bédié, ceci est une manœuvre du PM Alassane Ouattara pour rester maître du pays. Le soir venu, il passe à l’offensive et fonce à la RTI avec un corps d’élite de la gendarmerie (on déduit qu’il avait le soutien de la hiérarchie militaire). Il interrompt le journal de 20H, et de façon martiale se proclame Président. Sa phrase : « Mettez-vous à ma disposition » est restée dans les mémoires. La population était consciente que la crise de succession était inévitable entre les deux hommes, mais personne n’aurait pensé qu’elle éclaterait de sitôt, le jour même de la disparition du Président Houphouët. C'était l'inquiétude.
Le PM avait le soutien du gouvernement, mais le secrétaire du parti cette fois hésitait à le soutenir. Durant la nuit, et le lendemain, il reçoit des appels (de la sous-région et de l’Europe) lui conseillant « d’abandonner la partie ». Quant au PAN, dès le lendemain, il commence à recevoir les messages officiels de condoléances. Deux jours plus tard, le PM présente formellement sa démission au nouveau Président. Aucune équipe de télévision n’est admise. La cérémonie fut brève, froide, glaciale, dénuée de protocole. Mais elle permit d’éviter que la succession du Président Houphouët ne devienne une crise ouverte à l’issue incertaine.
Aujourd'hui en 2021, 28 années plus tard, après être passé par plusieurs phases, le duel se poursuit . oceanpremier4@gmail.com Douglas Mountain
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