Où est passée la rigueur du président Ouattara ?
La rigueur du président Ouattara : pas aussi tranchante que dans les années 90
Lorsque le gouverneur de la BCEAO
Alassane Dramane Ouattara était appelé au chevet de l’économie, d'abord en tant
que président du comité de stabilisation et de relance (Avril - Novembre
1990), puis premier ministre (7 Novembre 1990 - 7 Décembre 1993), l’homme était
qualifié ’’d’apôtre de la rigueur’’. La vieille garde autour du
président Houphouët avait été balayée, les privatisations étaient menées sans
état d’âme, pour la première fois les entreprises publiques et les régies
financières (Impôts, Douanes, trésor) étaient soumises à des obligations de résultats en
termes de recettes, le salaire des nouveaux enseignants avait été réduit, le
corps des journaliers de l’Etat avait été supprimé, la chasse aux
fonctionnaires fictifs était impitoyable etc....etc....tout était mis en œuvre
pour réduire le train de vie de l’Etat.
A son départ, il avait laissé une
profonde empreinte sur l’économie, lui imprimant une trajectoire qui sera plus
ou moins suivie par les prochains régimes. Aujourd’hui pourtant sa gouvernance
est contrastée. Certes la croissance accélère depuis douze ans, l’économie
prend du volume, les réalisations sont impressionnantes, mais on ne peut pas
vraiment dire que les choses sont alignées plein axe sur la rigueur et la
discipline. Les dysfonctionnements sont profonds, partout éclatent des
scandales, et abîment l’image du régime. La gestion rigoureuse des finances
publiques qui avait généré un mythe sur sa personne dans les années 90, semble
difficile à reproduire aujourd’hui.
Des faits emblématiques sur lesquels il convient de revenir un instant
1- En Juillet 2023 dans une conférence
de presse, d’ex-agents du ministère de la construction et de l'urbanisme,
documents à l’appui, ont accusé l’actuel ministre « d’avoir fait illégalement
sorti de la caisse du guichet unique du foncier et de l’habitat, des sommes
d’un montant cumulé de 100 milliards de FCFA depuis qu’il est en poste (Juillet
2018) ». Tout à son orgueil, le Ministre n’a pas daigné se prononcer. Aucune
investigation n’a été diligentée pour creuser le sujet et mettre en lumière ce
qui en était exactement. Les choses en sont restées là.
2- Pendant la pandémie du Covid en 2020,
des fonds d’urgence s’élevant à quelques 700 milliards FCFA, ont été mobilisés
pour soutenir divers secteurs de l’économie. C'était de l'argent à
distribuer aux acteurs économiques. Aucun mécanisme de contrôle n’a été prévu
pour s'assurer de l’affectation effective des ressources. Hormis les rapports
produits par ceux qui furent en charge de la distribution, aucune expertise
indépendante n’est venue certifier que les fonds étaient bien parvenus et
surtout en intégralité aux destinataires, comme on a pu le voir dans certains
pays, qui avaient aussi mis en place des plans de soutien. C'était tout
simplement extraordinaire !!!
3- Lors des récentes élections des
Conseils Régionaux, le duel dans le haut Sassandra a donné lieu à une bataille
de chiffres. Le ministre Touré Mamadou reprochait au président
sortant de n'avoir rien réalisé des « 33 milliards FCFA reçus en dix
ans d’exercice », ce que contestait ce dernier, affirmant n’avoir reçu
que « 10 milliards sur les 33 prévus ». Le Trésor public
était donc au cœur de la polémique, mais n’a produit aucune déclaration, un
silence qui incitait à penser que le président sortant était dans le vrai
en affirmant que 23 milliards manquaient à l’appel sur ce qu’il devait
recevoir.
Les transferts vers les Conseils
Régionaux sont inscrits au budget de l’Etat, donc font l’objet de décaissement
à un moment ou à un autre. Pourtant les élus se plaignent régulièrement de ne
pas les recevoir en totalité !!! Cette dette est-elle constatée et
intégrée au déficit budgétaire ? Ou avons-nous affaire à une dette qui n'existe
pas dans les comptes du Trésor, ce qui serait le cas si l’argent est décaissé
en totalité, mais n’arrive pas en totalité dans les caisses des Conseils
Régionaux, du fait des multiples retenues dont il fait l'objet sur son
parcours à l'issue de "marchandages" entre les responsables du
Trésor et les présidents de région. Il y a un véritable drame qui se
joue pour les collectivités.
4- Dans les infrastructures, souvent
différents montants sont donnés pour le même ouvrage. Ainsi le coût du
poste de péage de l’autoroute de Bassam est passé de 4 à 23 milliards, le
quatrième pont qui a été partiellement ouvert à la circulation est passé de 142
à 154 milliards, pour l’autoroute Yamoussoukro Tiébissou deux montants étaient
donnés 82,7 et 92,63 milliards, pour le pont à haubans de Cocody, selon les
données officielles une somme 3,6 milliards n'a pas été "utilisée"
sur les 105 milliards du prêt qui a été contracté pour l'ensemble du
projet !!
5- En Décembre dernier, la cour des
comptes pointait les faibles recettes reversées à l’Etat sur la confection des
documents d'identification (passeports, cartes de séjour, de résidence, et
d'identité). Seulement 878 713 FCFA sur toute l'année 2022
!!! L'entreprise concessionnaire dans la délivrance des trois premiers
documents, la SNEDAI, a déclaré déposer régulièrement des sommes à reverser à
l'Etat sur "deux comptes séquestres gérés par le Trésor". Alors
pourquoi ces sommes ne sont répertoriées nulle part ? De deux choses l'une,
soit l'entreprise ne s'acquitte pas de ce qu'elle doit, soit elle le fait mais
les sommes ne parviennent pas dans les caisses du Trésor Public. Cette
institution est à l’image d’une forêt sacrée, seuls les initiés savent
exactement ce qui s’y déroule.
Le pouvoir du Président Ouattara est-il gagné par l'usure à l'image de celui du président Houphouët ?
Le président Houphouët et son premier ministre, le gouverneur de la BCEAO Alassane
Dramane Ouattara, en 1991. Le duo fonctionnait bien. Doit-on repenser à un schéma
de ce type aujourd'hui ?
Ces faits cités plus haut, qui sont sur une très longue liste, montrent que le président Ouattara n’a plus la main aussi ferme qu’autrefois pour imposer la discipline à tout son monde. Il semble impuissant. Aujourd’hui le mythe de sa rigueur a beaucoup fondu. L’économie est en forte expansion, mais est retombée dans son fonctionnement des années 70. Ministres, DG, directeurs d’administration,…exercent une prédation sur les fonds publics. On surfacture, on détourne, on se sert, personne n’est vraiment inquiété. Comme tous les présidents africains, le président Ouattara concentre tous les pouvoirs , et ne délègue pas grand chose. Ainsi forcément beaucoup de choses lui échappent.
Le président Houphouët disait qu’« on ne contrôle pas la bouche d’une personne qui grille des arachides », en d’autres termes autant celui qui grille des arachides en aura toujours dans la bouche, autant celui qui manipule des fonds, en aura toujours dans les poches !! Dans les commissariats, les hôpitaux, les ports, les ministères, à la justice, dans les centres des impôts, les bureaux de douanes, même dans les prisons, partout le citoyen est déplumé, partout dans l’administration c’est ’’ le culte du veau d’or’’, symbole d'un pays assez gangrené.
Le ministère pour la bonne gouvernance
et l’inspection générale d'Etat semblent avoir les mains liées. Ces
institutions ne peuvent pas vraiment opérer comme elles le voudraient, car
"tout est politique". Seule la Cour des Comptes ose souvent pointer
des ’’anomalies’’, en s’entourant de milles précautions dans le choix de ses
mots. De hauts responsables ont certes été limogés dans ce qui semblait être
une vague anti-corruption, mais qui est très vite retombée. Derrière
une façade flamboyante, une certaine dégénérescence a pris place dans
l'économie ivoirienne. Cette gestion saine des finances publiques qui avait
forgé la réputation du président Ouattara dans les années 90, est un bien
lointain souvenir il faut le reconnaître.
Le mauvais signal adressé à tout le secteur para-étatique
Les deux protagonistes de la crise du FDFP en 2021, l'ex-ministre Joel Nguessan, le PCG de
la structure, et le SG Léonid Barry-Battesti. Les implications de la crise furent profondes.
En Août 2021, le président du conseil de gestion du Fond de Développement
de la Formation Professionnelle-FDFP, l’ex ministre Joël N'guessan (à gauche
sur la photo), avait limogé le DG de la structure, Léonid Barry-Battesti ( à
droite ), suite à un rapport d’audit de l'Inspection Générale d'Etat
particulièrement accablant. Ce dernier refusait de partir, au motif qu’il avait
été nommé par un décret présidentiel. La crise fut largement relayée dans la
presse. Les deux hommes sont alors limogés en conseil des ministres le 08
Septembre 2021. On leur reprochait d’avoir « étalé leurs différends dans
les médias ».
On imagine aisément que depuis l’affaire, plus aucun président de conseil
d’administration (ou de gestion) ne s’est montré critique sur la gestion du DG
en place, de peur de générer une crise susceptible de les emporter tous les
deux, alors qu'il est important qu'un DG se sente sous la surveillance d'un
Conseil à qui il doit rendre compte. C'est cette surveillance qui peut limiter
ou à défaut rattraper ses dérives. On peut reprocher au président du
conseil de gestion d'avoir voulu limoger le DG sans en référer à son ministre
de tutelle. Mais fallait-il pour autant lui faire subir la même sanction que ce
dernier, qui lui était coupable de malversations ? Ne pouvait-on pas le
sanctionner autrement ?
Une grande partie de l’activité économique est assurée par les
Etablissements Publics à caractère Industriel et Commercial (EPIC), dotés d’un
conseil d’administration. Si la crise du FDFP avait été correctement arbitrée,
un vent de rigueur et de transparence se serait levé sur les EPIC, parce que
les DG auraient alors compris que les conseils d’administration ne sont pas là
que pour la forme. Le limogeage du président du conseil de gestion du FDFP fut
clairement un mauvais signal. On n' y pense plus aujourd'hui, mais les implications
de cette crise sur l'économie ont été pernicieuses.
L'audit au FDFP avait été mis en œuvre par l'inspection général d'Etat, sur instruction de la haute autorité pour la bonne gouvernance ( aujourd'hui ministère pour la promotion de la bonne gouvernance). C'est dire que si l'on laisse ces deux institutions faire leur travail comme il se doit, l'économie ivoirienne peut se réaligner plein axe sur la rigueur et la discipline.
Douglas
Mountain
Le Cercle des Réflexions Libérales
Commentaires
Enregistrer un commentaire