L'Union des Cadres du Nord : une future " usine à gaz "
Abidjan le 22 Décembre 2021
Le Ministre Koné Kafana Gilbert, Maire de la commune de Yopougon, l'homme qui avec bec et ongles a défendu le projet de l'Union des cadres du Nord.
Contre vents et marées, l'Union des cadres et élus du Grand Nord ( UGN ) a finalement vu le jour les 12 et 13 Novembre dernier à Korhogo. En cette fin d'année 2021, il est utile de revenir sur un évènement qui est susceptible de peser lourd sur le futur de cette nation, un évènement qui constitue peut être un tournant pour ce pays.
Amadou Gon Coulibaly : le vrai « père » du projet ?
C’est ce que prétend le Ministre Koné Kafana, Maire de la commune de Yopougon, celui même qui est au devant de toute cette initiative. Pour ce dernier, le PM Gon Coulibaly avait ce projet « à cœur ». En le concrétisant à Korhogo sa ville natale, il ne fait que " respecter la volonté de l’homme et lui rendre hommage ". Lorsqu'on entend de telles paroles, même si rien ne nous amène à douter de la parole du Ministre Koné Kafana, on ne peut s'empêcher de regretter que le PM Gon Coulibaly ne soit plus de ce monde pour donner sa version des faits.
Car il n’est pas tout à fait indiqué de mettre sur le compte d’un défunt, une initiative qu’on refuse d’endosser entièrement. Pendant presque 10 années ( 2011 – 2020 ) , l’homme d’abord Secrétaire Général de la Présidence, puis Premier Ministre, n’ a jamais posé le moindre acte dans le sens d’un tel projet. Même s’il en avait l’intention, il ne l’a cependant jamais rendu publique. Aussi la démarche qui consiste à le faire endosser ce projet de façon posthume, est contestable. Aujourd’hui, la mémoire d’Amadou Gon Coulibaly fait consensus dans tout le Nord ivoirien. Toute la Nation retient de lui un bosseur, et un fidèle du Président. En l’associant à ce projet controversé, c’est une tâche qu’on met sur ce tableau.
Les limites géographiques du Nord ivoirien ?
Ce fut l’une des nombreuses controverses que ce projet a soulevées. Pour le Ministre Koné Kafana, le Gontougo ( Bondoukou et toute sa région ) est inclus dans le Nord ivoirien. Il est vrai qu’on y trouve une très forte communauté malinkés de souche, conséquence du passage des armées de Samory dans la zone vers la fin des années 1800. Cependant le Gontougo n’ a jamais été considéré comme faisant partie du Nord dans aucun document officiel à ce jour. Si on considère la limite du Nord ivoirien comme étant un parallèle passant par Bouaké, Bondoukou se situe effectivement au-dessus de ce parallèle. Mais des villes comme Sipilou, Biankouma etc. ….. le sont également. Si Bondoukou est incluse dans le Nord, alors ces villes doivent aussi l’être.
Quand on regarde la carte de la Côte d'Ivoire, inclure tout le Gontougo dans le Nord ivoirien fait tout simplement bondir de son siège. Il est clair que Bondoukou est visée non pas du fait de sa position géographique, mais bien du fait de son importante communauté malinké qu’on veut forcément intégrer au projet. Cela montre que derrière l'aspect géographique, il y a bien un aspect ethnique qui est pris en compte.
Tous les Malinkés et Sénoufos sont-ils ressortissants du Nord Ivoirien ?
Hormis les villes du Nord du pays, toutes les autres villes ont leur quartier « dioulabougou », fondé pour la plupart en même temps que ces villes, où sont concentrées les populations Sénoufos et Malinkés qui sont descendus du Nord. Une part importante de la population Malinké et Sénoufo du pays est issue de cette immigration interne.
Si être ressortissant d’une région c’est y être né, y avoir grandi et y avoir ses parents et grands-parents, alors la population Sénoufo et Malinké du pays, issue de ces « dioulabougou », n’est tout simplement pas ressortissante du Nord car n' ayant plus aucune attache. Beaucoup de nos personnalités sont concernées. Entre autre, le Ministre Touré Mamadou de l’emploi des jeunes ( Daloa ), le Ministre Souleymane Diarrassouba du Commerce ( Yamoussoukro ), le Ministre Koné Ahmadou du transport ( Bouaké ), le Ministre Sidi Tiémoko de la production animale ( Béoumi ), l’ancien Ministre du pétrole et de l’énergie et actuel Secrétaire Général de la Présidence , Abdourahmane Cissé ( Bassam ) , le Ministre Cissé Bacongo ( Kounahiri) , etc.. Tous se sont désolidarisés de ce projet, mais n'ont pas osé le combattre.
Il y a aussi des hauts cadres, entre autres le Dg du port D’Abidjan Hien Yacouba ( Adiaké, dont il est d’ailleurs le Maire ), le DG de la RTI Dembélé Fousseyni ( Aboisso ), le Directeur exécutif du RHDP, Adama Bictogo ( Azaguié ) etc...etc… Quel est le statut de ces personnalités au regard des textes qui régissent l’UGN ? Sont-elles des adhérents potentiels en tant que Malinkés ou Sénoufos, ou sont-elles exclues en tant que non ressortissantes du Nord ? En fait, l’UGN installe une distinction de fait : nous avons les Malinkés et Sénoufos ressortissants du Nord, et ceux qui ne le sont pas. C'est une question collatérale que ce projet met sur la table. La problématique va très rapidement se poser en ces termes.
Une union pour quelle capacité financière ?
Dans une interview accordée au groupe Jeune Afrique en Novembre dernier, le Ministre Koné Kafana présente l’UGN comme " une mutuelle qui servira à promouvoir le développement des régions du Nord qui sont les plus pauvres du pays, des régions où l’éducation est en retard."
Avec des villes comme Katiola, Ferké, Korhogo, Odienné, même Ouangolo, et aujourd’hui Kong, on ne peut pas vraiment dire que le Nord est en retard. Les villes de Korhogo et de Ferké sont aujourd’hui de véritables pôles d’attractivité pour tout le Nord, mais aussi pour les populations des pays de l’hinterland. Ces populations ne descendent plus jusqu’à Abidjan désormais, elles sont retenues par ces villes en pleine croissance. Concernant la scolarisation, cela reste un problème culturel et non un problème d'infrastructures. Le déficit d’écoles primaires et de collèges n'est pas plus prononcé au Nord qu’ailleurs. Seulement les populations du Nord ont tendance à ne pas scolariser la jeune fille. Il faut une sensibilisation permanente. Les choses ont d’ailleurs beaucoup bougé ces dernières années grâce à l'action des autorités et des ONG.
L’ Union des Cadres du Nord reste une mutuelle de développement. Ce n’est pas un démembrement de l’Etat. Ainsi ses capacités financières viendront des cotisations qui seront levées parmi ses membres, à l’instar de toutes les mutuelles. Ces sommes permettront de réaliser des puits, des écoles primaires, des dispensaires, des pistes rurales, des dons aux femmes pour leur autonomisation etc…..etc…Les choses n’iront pas au-delà. Donc véritablement il n’ y aura rien de nouveau sur le terrain. Ce sont des choses qui se font déjà avec les mutuelles en place dans ces régions.
En fait l’UGN fera double emploi avec ces mutuelles. Les cadres du Nord qui vont adhérer à l'UGN cotiseront donc deux fois. Pour quels résultats ? A l’échelle de tout le Nord ivoirien Gontougo compris, les actions de cette structure ne pourront qu’ être diluées. Elles ne seront pas ressenties par les populations.
Une véritable usine à gaz ?
Difficile de voir en l’UGN une structure qui pourra vraiment impulser le développement des régions du Nord. En revanche, l’UGN sera certainement un cadre d’échange et de discussion entre élus et cadres du Nord. Le problème reste les questions qui seront discutées, et c'est bien là que réside le danger, c'est bien là que sera produit le " gaz susceptible d'exploser " un jour.
Si aujourd’hui il ne peut être question que de développement, demain dans 10 ou 15 ans, rien n’exclut que l’idée d’un statut spécial des régions du Nord ne soit pas mise sur la table. Puis viendra l’idée d’autonomie de ces régions, puis celle de large autonomie etc……C’est ce qui se voit ailleurs. Ces idées feront leur chemin dans les esprits, pour finir par s'imposer dans le débat. Et cela commence toujours par une ligne de démarcation d’une partie de la population, sur une base ethnique, religieuse, ou géographique. Avec l’UGN nous avons ces trois ingrédients. Alors attention !!!
Que de problèmes potentiels soulevés par cette idée d'union des cadres du Nord, cette idée que le Ministre Koné Kafana trouve "fantastique". Il aurait été sage de simplement l'abandonner, car on ne voit pas ce que ce projet fera d'extraordinaire en matière de développement. C'est l'Etat qui impulse le développement dans les régions à travers ses démembrements ( Conseils régionaux, mairies etc... ), pas les mutuelles. Même si les intentions du Ministre Kafana sont louables, il ne sera pas toujours là pour veiller au grain, pour canaliser les choses. Sans le vouloir, il va peut-être laisser à la postérité un instrument qui va poser problème. Tout le monde doit se sentir simplement et uniquement ivoirien. Toute action qui peut engendrer une différenciation entre les citoyens de ce pays est à bannir totalement.
Douglas Mountain
Le Cercle des Réflexions libérales.
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